Manifestation contre le TTIP et le CETA, le 20 septembre à Bruxelles. | ERIC VIDAL / REUTERS

Vendredi 7 octobre, devait s’achever à New York un nouveau round de discussions du TTIP, le fameux accord de libre-échange transatlantique. Le quinzième depuis le début des négociations, en 2013, et probablement le dernier avant longtemps étant donné que les Américains élisent un nouveau président dans un mois et que ce traité dresse contre lui une partie des opinions publiques, en Europe comme aux Etats-Unis. Pour autant, les fonctionnaires de la Commission européenne qui planchent sur cet accord au nom des 28 Etats de l’Union ne risquent pas le chômage technique.

L’institution mène en effet pas moins d’une vingtaine d’autres négociations commerciales en parallèle. Personne ou presque n’en parle, les médias et les ONG restant focalisées sur le TTIP et, dans une moindre mesure, sur le CETA, l’accord avec le Canada. « J’essaye à chaque fois de mentionner ces discussions lors de mes interventions publiques, mais personne ne me pose de questions à leur sujet », déplore Cecilia Malmström, la commissaire au commerce.

Quels sont ces accords, dont certains (avec le Japon par exemple) sont presque aussi importants que le TTIP au regard des retombées économiques potentielles ? Et quelle est la stratégie européenne qui les sous-tend?

Du Vietnam à l’Equateur en passant par la Tunisie 

Le 10 octobre devrait démarrer à Bruxelles un nouveau round de discussions avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela). La Commission a aussi, cette année, lancé la « modernisation » de l’accord avec le Mexique, datant du début des années 2000. Elle réfléchit à faire de même avec le Chili. L’accord avec l’Equateur, lui, pourrait entrer en vigueur d’ici fin 2016.

Les discussions sont également intenses avec l’Asie. Un accord a été trouvé avec le Vietnam en 2015, il devrait être soumis à la ratification des 28 dès Pâques 2017. Mme Malmström a lancé les discussions avec l’Indonésie en juillet, avec les Philippines fin 2015. Les négociations avec Tokyo ont débuté en 2013 (en même temps que celles du TTIP), et pourraient aboutir dans les prochains mois, estime une source bruxelloise.

Outre ces accords bilatéraux, la Commission négocie deux accords multilatéraux : le TiSA (accord sur les services) entre 23 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Et l’ABE visant à abaisser les droits de douane sur les biens environnementaux (turbines à vapeur, incinérateurs, etc.). Bruxelles planche aussi sur deux accords d’«investissement », avec la Birmanie et surtout la Chine. Enfin, l’UE est impliquée dans des négociations commerciales  « asymétriques » (plutôt en sa défaveur) avec la Tunisie.

Lignes rouges et intérêts offensifs

Pour chacun de ces accords, les Européens défendent ce qu’ils appellent leurs « intérêts offensifs » (ce qu’ils comptent vraiment obtenir) et leurs « lignes rouges » (ce sur quoi ils ne sont pas prêts à céder). Ils ressemblent à ceux du TTIP. L’UE cherche à mieux exporter ses biens manufacturés, ses produits agricoles, à donner à ses entreprises un meilleur accès aux marchés publics des pays concernés, à y obtenir la reconnaissance d’une de ses spécificités – les indications géographiques protégées. Les Français, défenseurs de l’exception culturelle, réclament à chaque fois que le secteur audiovisuel soit exclu de chacun des mandats de négociations.

Dans le cas du Japon, par exemple, les Européens refusent d’avancer tant qu’ils n’obtiendront pas plus de concessions concernant les marchés publics et l’accès au marché ferroviaire nippons. A contrario, des eurodéputés s’inquiètent de la baisse des tarifs douaniers pour la banane que Bruxelles risque d’accorder à l’Equateur. « Nous demandons à la Commission de mieux soutenir la banane antillaise face à cette banane “low cost ” qui inonde le marché européen », a demandé le socialiste Eric Andrieu, fin septembre.

Stratégie libre-échangiste

Même si les accords de libre-échange TTIP et CETA sont très impopulaires, les dirigeants européens restent clairement en faveur du libre-échange, partant du principe qu’il apporte à terme un gain de croissance et crée des emplois.

Après avoir longtemps travaillé dans le cadre de l’OMC, l’UE a décidé de changer de pied en 2006 quand il est apparu clairement que la méthode de négociation multilatérale de l’organisation internationale patinait. Bruxelles a alors initié des négociations importantes, avec la Corée du Sud, l’Inde, et l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est).

Les discussions avec Séoul ont abouti à un accord entré en vigueur en 2011, qui a conduit à un bond de 55 % des exportations de l’UE vers la Corée. C’est le succès qui motiverait aujourd’hui les Japonais : ils voudraient conclure avec Bruxelles, soucieux de ne pas rester à la traîne de leur concurrent régional. En revanche, les discussions avec l’Inde ont achoppé, le pays refusant l’accès du vin et des voitures européennes à son énorme marché. Celles avec l’Asean aussi, et l’Union a préféré initier des discussions bilatérales avec certains de ses membres.

Concernant la Tunisie, l’Union poursuit surtout un objectif politique : « Le pays est fragile mais c’est la seule démocratie ayant résisté après le printemps arabe », il est logique de le soutenir », explique Cecilia Malmström . A l’en croire, l’accord avec le Vietnam aurait aussi un but politique : « Ce n’est pas grâce à lui qu’il sera demain une démocratie, mais c’est un moyen de discuter des droits de l’homme. »

CETA : l’heure de vérité

Bruxelles craint que l’opposition au TTIP et au CETA ne compromette toutes ces discussions. Le CETA, considéré comme un grand test, devrait être soumis à la ratification des Etats fin octobre, puis obtenir l’aval des Parlements nationaux européens, mais certains, dont le wallon, sont réticents.

« Si on n’y parvient pas [à adopter le CETA], on aura de gros soucis, beaucoup de partenaires de l’Union vont se poser des questions, hésiter à s’engager à leur tour dans des négociations », confiait récemment la commissaire au commerce.« Que veut-on ? Se replier sur nous-mêmes ? Et où irons-nous alors la chercher, la croissance ? Nos gouvernants devraient avoir un vrai débat et envoyer des messages clairs aux opinions publiques », peste la député européenne conservatrice (groupe PPE) Tokia Saïfi, exprimant un sentiment assez général à Bruxelles.