Après les engrais, les adhésifs et les composites, Total vend un nouveau pan de sa chimie. Le groupe pétrolier a annoncé, vendredi 7 octobre, la cession d’Atotech au fonds américain Carlyle pour 3,2 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros), confirmant une information publiée la veille par Les Echos. Le PDG de Total avait mis Atotech en vente en mai, au moment précis où il annonçait une offre d’achat sur le fabricant de batteries Saft. C’est en effet « au nom d’une exigence de cohérence stratégique » que Patrick Pouyanné a décidé de céder ce leader mondial du procédé de métallisation qui n’a, à ses yeux, « aucun lien avec l’ambition à vingt ans de Total ».

Cette ambition, élaborée au cours de l’année 2015 au sein du groupe et baptisée « One Total », consiste à recentrer l’activité de la quatrième major pétrolière mondiale autour des métiers de l’énergie, de l’efficacité énergétique et de la lutte contre le changement climatique. Aux commandes depuis octobre 2014, M. Pouyanné avait rappelé à ses actionnaires, en mai, que c’est l’énergie qui constitue « l’histoire, le présent et le futur de Total ». Peu après l’achat de Saft, Total avait annoncé celui du fournisseur belge d’électricité et de gaz Lampiris, qui dispose d’un portefeuille d’un million de clients.

Total a ainsi complété sa diversification dans l’électricité engagée dès 2011 avec la prise de contrôle du fabricant californien de panneaux solaires SunPower. Il entend aussi mieux valoriser son gaz – qui commence à supplanter le pétrole dans sa production – notamment en le vendant au client final (industriels et particuliers), voire en exploitant des centrales électriques alimentées par du gaz. Cette stratégie s’est concrétisée, le 1er septembre, par la création d’une quatrième branche « gaz, renouvelables et électricité » aux côtés de l’exploration-production, du raffinage-pétrochimie et du marketing-services. Son patron, Philippe Sauquet, est membre du comité exécutif de Total. M. Pouyanné estime que dans vingt ans, ces activités pourraient représenter jusqu’à 20 % de l’activité de Total (contre 5 % aujourd’hui).

Pour Total, la chimie est un domaine jugé trop éloigné de son métier principal et souvent peu valorisé par les investisseurs

La vente d’Atotech va certes faire rentrer des liquidités, mais elle n’est pas liée à l’urgence de répondre à un prix du baril qui ne retrouvera pas avant longtemps ses records à plus de 100 dollars des années 2011-2014. Au fil des ans et au-delà des aléas de la conjoncture, Total n’a cessé de se désengager pas à pas de la chimie, un domaine jugé finalement trop éloigné de son métier principal et souvent peu valorisé par les investisseurs.

Au moment de la fusion Elf-Total en 2000, le nouvel ensemble réalisait plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans ses diverses activités chimiques. Ses dirigeants les présentaient alors comme un axe majeur de leur stratégie. Depuis, le champion français s’est délesté en Bourse de sa grande filiale Arkema, puis il a vendu ses engrais – une branche endeuillée par la catastrophe d’AZF en 2001 – à l’autrichien Borealis et il s’est retiré des matériaux composites. En 2015, Bostik, le numéro trois mondial des adhésifs, a lui aussi pris le chemin de la sortie : Arkema a repris l’affaire pour 1,7 milliard d’euros.

L’un des premiers au monde dans la métallisation

Avec Atotech, Total tire à présent un trait sur un marché dans lequel Elf était entré en 1977 avec l’acquisition de la société américaine M&T Chemicals. En pleine phase de diversification dans la chimie, il s’agissait alors de faire du groupe un grand de la galvanoplastie, cette technique qui consiste à appliquer une couche de métal sur une surface métallique ou autre, à l’aide d’un procédé électrochimique. Quelques années plus tard, Elf renforçait ce pôle avec l’achat de la division spécialisée d’un concurrent, l’allemand Schering.

A présent, l’objectif initial paraît atteint. Présent dans plus de 40 pays, Atotech se situe parmi les premiers industriels au monde en matière de métallisation. Il travaille tant pour les fabricants de circuits imprimés et de semi-conducteurs que pour l’automobile, la construction ou l’ameublement. La filiale de Total emploie plus de 4 000 salariés, surtout en Allemagne et en Asie : un nouveau site a été inauguré en mars en Malaisie, un autre est en construction en Chine. Elle compte 18 usines, de nombreux centres de recherche et centres techniques, pour un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros en 2015, en hausse de 4 %. La rentabilité est également au rendez-vous, avec un excédent brut d’exploitation d’environ 270 millions d’euros. De quoi susciter les appétits des fonds d’investissement du monde entier.

Cette cession bouclée, la présence de Total dans la chimie se limitera à ses unités pétrochimiques, très intégrées aux installations pétrolières, et à l’imposante filiale Hutchinson, spécialisée dans le traitement du caoutchouc. Elle pèse à elle seule 3,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et fait travailler 30 500 personnes. Les banquiers ont réfléchi plus d’une fois à la meilleure façon pour Total de s’en défaire, que ce soit en l’introduisant en Bourse ou en la cédant à un concurrent. En mai, M. Pouyanné a assuré à ses actionnaires qu’il n’avait aujourd’hui aucun projet en ce sens.