Mariano Rajoy, à Madrid le 26 septembre. | JAVIER SORIANO / AFP

Il y a des mois que les journalistes espagnols, éditorialistes, chroniqueurs et analystes politiques, avaient marqué d’une croix sur leurs agendas la date du 4 octobre. Après huit ans d’enquête judiciaire, le procès de l’affaire Gürtel, un vaste réseau de corruption touchant le Parti populaire (PP), était promis à la « une » de tous les quotidiens et à des heures de tertulias, ces débats politiques télévisés ou radiophoniques qui passionnent les Espagnols depuis le début de la crise.

Mais tout cela, c’était avant que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) n’implose, samedi 1er octobre. Avant qu’une guerre de pouvoir associée à un débat interne sur la position à tenir face à la formation du prochain gouvernement ne provoque la division des socialistes espagnols et la chute de leur secrétaire général, Pedro Sanchez.

Une vraie aubaine pour le chef du gouvernement conservateur par intérim, Mariano Rajoy, qui a vu son pire cauchemar étouffé par celui que vivent les socialistes. Plus personne ne doute qu’il sera reconduit à la tête du prochain gouvernement : les socialistes, pour éviter un troisième scrutin qui risquerait de creuser leurs blessures, pourraient faciliter son investiture avant la fin du mois. Tous les sondages s’accordent à prédire que le PP sortirait très renforcé en cas de nouvelles élections législatives, du fait d’une forte abstention à gauche. Depuis neuf mois, l’Espagne est sans gouvernement. Le PP est arrivé en tête lors des élections législatives de décembre 2015 et de juin, sans pouvoir constituer une majorité.

« Barrière morale »

L’affaire Gürtel est passée au second plan. Pourtant, le scandale est majeur : malversation, fraude, détournement de fonds, trafic d’influence, la liste des délits imputés aux 37 prévenus est interminable. Il a d’ailleurs fallu une heure et demie au tribunal pour lire l’intégralité des chefs d’accusation, mardi 4 octobre.

Au centre de l’affaire : l’entrepreneur Francisco Correa, « Don Vito » pour les intimes, surnom emprunté au film Le Parrain. La justice l’accuse d’avoir détourné 8,4 millions d’euros par le biais de contrats publics truqués avec des mairies contrôlées par le Parti populaire, grâce à ses « étroites relations » avec des politiques, et en échange de cadeaux, de voyages et de l’organisation d’actes de campagne. Il suffit de fouiller dans les archives de la presse nationale pour retrouver sa trace sur les photos du mariage de la fille de l’ex-premier ministre José María Aznar. Entouré du gratin du PP, il était l’un des témoins de son gendre, Alejandro Agag.

Sur le banc des accusés, dix-sept anciens élus du PP l’accompagnent, parmi lesquels les anciens maires de Pozuelo et de Majadahonda – deux communes riches de la banlieue de Madrid –, le bras droit de l’ancienne présidente de la région, ou encore l’ex-responsable d’organisation du PP de Galice. Et surtout, Luis Barcenas, l’ancien trésorier du PP, le gardien d’une comptabilité parallèle présumée nourrie de pots-de-vin obtenus en échange de contrats publics. En 2013, quelques jours après que la presse publie que près de 50 millions d’euros auraient transité sur ses comptes en Suisse, Mariano Rajoy lui avait envoyé un SMS court mais éloquent : « Luis, soit fort ».

Cette phrase a poursuivi Mariano Rajoy ces dernières années. Et elle suffit à expliquer la réticence de tous les partis politiques à s’allier avec le candidat du PP pour débloquer l’investiture du prochain premier ministre. Le quotidien espagnol El Pais souligne que le procès Gürtel « a nourri le rejet de la figure de Mariano Rajoy et a invalidé sa capacité à mener la régénération politique et éthique dont a besoin ce pays. Ce rejet a abouti à une intransigeance envers les pactes avec le parti principal, parce qu’il existe une barrière morale qui empêche de résoudre la crise politique ».

Le seul parti qui s’est allié avec le PP, la formation centriste Ciudadanos, lui a d’ailleurs exigé préalablement de signer un pacte anticorruption…

La corruption, deuxième préoccupation des Espagnols

Selon le Centre de recherches sociologiques, la corruption est la deuxième principale préoccupation des Espagnols derrière le chômage. Les scandales du PP expliqueraient ainsi qu’il a perdu 3,5 millions d’électeurs lors des législatives de décembre 2015, par rapport à celles de 2011. Cependant, il reste la première force politique en Espagne avec 7,9 millions d’électeurs, 2,5 millions de plus que le PSOE.

« Le châtiment électoral de la corruption est en général faible, entre 5 et 8 points de pourcentage, selon les pays et le contexte, explique le politologue espagnol Pablo Simon. Elle n’est qu’une des variables prises en compte par les électeurs et pas la principale : l’idéologie ou le sentiment de filiation politique, l’idée que les politiques sont tous pourris ou le fait qu’une ample couche de la société a profité du climat de frénésie immobilière sous lequel ont fleuri les affaires de corruption, jouent un rôle important. Et beaucoup d’Espagnols ne peuvent plus s’indigner davantage… »