Si Alain Juppé, favori de la primaire de la droite, estime qu’il faut « un partenariat d’égal à égal avec l’Afrique », l’ancien président de la République veut « poser les bases d’un gigantesque plan Marshall de développement du continent. » Les deux hommes disent « aimer l’Afrique » et se rejoignent en affirmant que son destin « est lié » avec celui de la France.

Si vous êtes élu, qu’est-ce qui changera dans la politique africaine de la France ?

Nicolas Sarkozy Je ferai de l’Afrique l’une des toutes premières priorités de la politique étrangère française. Il faut considérer que le destin de l’Europe et le destin de l’Afrique sont liés par la géographie d’abord, par l’Histoire ensuite. L’échec de l’Afrique serait un drame pour l’Europe. La deuxième chose, c’est que beaucoup de solutions aux problèmes de l’Europe se trouvent en Afrique, notamment la solution à la crise migratoire.

Je veux comme première priorité poser les bases d’un gigantesque plan Marshall de développement de l’Afrique. C’est la seule solution pour tenter de maîtriser des pulsions et des mouvements migratoires, dont l’ampleur est sans précédent depuis l’origine de l’humanité. Et les chiffres sont considérables : l’Afrique va passer en trente ans de 1 milliard à 2,3 milliards, le troisième pays le plus peuplé du monde sera le Nigeria avec plus d’habitants qu’aux Etats-Unis.

Au Sahel, on considère qu’il y aura 200 millions de familles avec un taux de natalité d’entre 6 et 8 [enfants par femme]. Si les jeunes Africains ne trouvent pas de travail en Afrique, nous avons là les clés et les conditions d’un drame entre l’Afrique et l’Europe. L’argent investi par l’Europe doit l’être dans le développement de l’Afrique, plutôt que pour soutenir, en pure perte, la Turquie, voire des pays européens.

Considérez-vous la libération du nord du Mali, qui était aux mains des djihadistes, comme un succès de la politique africaine de François Hollande ?

Ce sont des sujets qui sont très complexes et on ne peut pas y répondre par oui ou par non. Fallait-il empêcher que Bamako tombe ? La réponse est oui. De ce point de vue, c’est un succès, notamment quand on connaît l’importance stratégique du Mali en Afrique. Le Mali n’est pas un pays tout à fait comme les autres, sans vouloir porter un jugement contre les autres. Ça a été un empire et il n’y a pas beaucoup de pays qui ont été des empires il y a quelques siècles. Il y a aussi une importance stratégique. Le Sahel sans le Mali, ça n’existe pas.

Deuxième élément, fallait-il intervenir alors même qu’il n’y avait aucun gouvernement démocratique ou légitime ? Là, c’est beaucoup plus compliqué. Parce que je veux dire que l’armée française n’est pas une armée d’occupation. Elle n’est pas chargée des opérations de police. C’est une armée qui doit défendre les intérêts stratégiques de la France et intervenir sous contrôle et sous mandat des Nations unies.

Craignez-vous l’enlisement ?

L’enlisement, je ne le crains pas : nous y sommes ! Le Sahel est grand comme dix fois la France. Nous avons environ 3 000 hommes sur place. Comment voulez-vous contrôler un espace aussi vaste avec 3 000 hommes, quelques Tchadiens, quelques soldats nigériens – je ne dis pas ça avec mépris, bien au contraire – et quelques troupes internationales, qui sont davantage dans l’autodéfense que dans la défense.

Alors, quelles solutions ?

Il n’y en a qu’une seule. Un gouvernement fort, légitime, à Bamako, pour discuter avec les Touaregs de la réconciliation indispensable entre eux et le pouvoir central. Pourquoi ? Parce que les seuls, sur le long terme, qui sont capables d’éviter les infiltrations de terroristes dans le Sahel sont les Touaregs et personne d’autre.

Plusieurs gouvernements, notamment tchadien avec Idriss Déby, disent qu’en 2011 lors de la chute du colonel Kadhafi, vous n’avez pas fait « le service après vente », selon l’expression de M. Déby. Vous avez laissé plusieurs milliers de combattants surarmés affluer au nord du Mali, d’où la prise de Tombouctou en avril 2012.

Je ne polémique pas avec Idriss Déby. Je suis prêt à recevoir des leçons de qui vous voulez, mais je ne suis pas sûr qu’il soit le mieux placé pour en donner. Ce qu’il dit est faux. Je n’aime pas l’expression de « service après vente ».

Je rappelle que l’intervention en Libye a été réalisée avec un mandat international de l’ONU et l’accord de la Ligue arabe. La guerre est gagnée. Il y a eu des élections même s’il semble l’avoir oublié. Et ce furent des élections libres avec un taux de participation de 60 %. Qui les gagne ? Les modérés, en juillet 2012. Moi, je suis parti en mai 2012. C’était donc à moi de m’en occuper après ? La vérité, c’est que ce fut une grave erreur de la communauté internationale et de la France de laisser tomber la Libye, avec le résultat que l’on sait.

Au Gabon, la réélection d’Ali Bongo est très controversée et elle a fait plusieurs dizaines de morts. Pensez-vous comme beaucoup d’observateurs que ces élections ont été truquées et que le vrai vainqueur est Jean Ping ?

J’ai reçu Jean Ping il y a quelques mois, et ce n’est pas d’hier que je suis préoccupé par l’évolution gabonaise. Le Gabon était un havre de paix et de stabilité avec la grande expérience de feu Omar Bongo. Vous savez comme moi que l’âge et l’ancienneté dans les fonctions… ça pèse en Afrique. Le doyen, ça compte. J’ai vu les élections au Gabon et elles sont incontestablement une occasion manquée. Elles ont été l’objet de contestations multiples. Les chiffres qui ont été publiés provoquent au minimum l’étonnement. La seule chose qui compte maintenant, c’est d’éviter que le Gabon verse dans la violence. Des initiatives politiques fortes doivent être prises par Ali Bongo.

Mais j’aimerais dire que je suis toujours réservé lorsqu’un dirigeant français commente une élection alors que l’Union africaine ne l’a pas fait. Nous sommes toujours dans la situation où si l’on commente, on est des donneurs de leçon d’un passé post-colonial. Et, si on ne commente pas, on est les complices d’une élection qui ne s’est pas bien passée.

Il aurait fallu renforcer l’importance des contrôles internationaux avant l’élection et pas après. La deuxième chose est que la contestation montre que le recomptage était sans doute la seule solution possible. La troisième observation est qu’il y a des législatives en décembre et qu’elles doivent être le nouveau rendez-vous, et cette fois pas manqué, pour la démocratie au Gabon.

En 2009, la première élection d’Ali Bongo était déjà très controversée. Pourtant, vous l’aviez soutenu avant et après l’élection puisque vous l’aviez félicité juste après sa victoire officielle…

En 2009, l’importance des contestations n’avait pas été aussi forte qu’aujourd’hui…

André Mba Obame [alors opposé à Ali Bongo] n’était pas du tout d’accord avec les résultats…

En Afrique, c’est comme en France, les leaders ne sont jamais d’accord. En 2009, on portait déjà les prémices d’un affrontement interne à la famille Bongo plutôt qu’interne à la classe politique gabonaise. La France n’a pas fait l’élection d’Ali Bongo. Ceux qui disent cela ne connaissent rien au Gabon et sont d’ailleurs insultants pour les Gabonais. L’élection récente n’a rien à voir avec celle de 2009. Celle de cette année est entachée de doutes et je me joins à cette analyse.

Quand Alain Juppé dit que « les choix politiques des Africains se font en Afrique et non plus à Paris », est-ce que vous vous sentez visé ?

Comme il a été mon ministre des affaires étrangères, si j’étais visé il se viserait lui-même.

En RDC, le président Kabila fait repousser les élections et réprime violemment son opposition [il y a eu plus de 50 morts le 19 septembre]. Quand François Hollande dénonce des exactions venant de l’Etat congolais lui-même, êtes-vous d’accord avec lui ?

Oui, mais je voudrais faire une proposition : l’une des choses les plus importantes pour l’Afrique est de définir urgemment ce que pourrait être le statut des anciens chefs d’Etat. Ce qui se passe en RDC n’est pas admissible, mais c’est ce qui s’est passé au Niger, au Burkina Faso. Il y a une Constitution : que chacun la respecte ! Et s’ils veulent en changer, ça doit se faire dans des conditions démocratiques.

Il se trouve que le président Kabila a fait deux mandats et que la Constitution prévoit qu’il ne peut pas en faire un troisième. Il ne prend même pas la peine de modifier la Constitution, il repousse simplement la date des élections ce que personne ne peut considérer comme normal, sachant qu’il s’agit d’un pays considérable qui doit faire entre 80 et 100 millions d’habitants. J’avais dit au président Tandja du Niger que, s’il faisait ça, ça serait une catastrophe et ça l’a été. Je l’avais également dit au président Compaoré de ne pas le faire…

Alassane Ouattara, qui est l’un de vos proches, n’est pas très aimable avec les entreprises françaises. Il dit que si elles ont perdu la moitié de leurs parts de marché en quinze ans, c’est beaucoup de leur faute.

D’abord, quand vous dites qu’Alassane Ouattara est l’un de mes proches, vous pouvez même dire que je suis l’un de ses amis. Je l’étais quand il était directeur général adjoint du FMI et quand il était dans l’opposition à M. Gbagbo. Le président Ouattara est un grand président et un grand démocrate. Pour ce qui est de nos entreprises, je pense qu’elles n’ont pas compris que notre monde avait changé, que l’Afrique avait changé et que notre histoire commune ne nous donnait aucun droit, qu’il fallait se battre avec beaucoup d’acharnement, davantage aimer l’Afrique et être plus compétitif.

Beaucoup d’Africains ont été sincèrement choqués par votre discours de Dakar où vous disiez que « l’homme africain n’était pas assez entré dans l’Histoire ». Aujourd’hui, qu’est-ce que vous leur dites ?

Il y en a beaucoup aussi qui ont été séduits par le discours de Dakar, qui a été caricaturé. Cette phrase en soi n’est pas choquante et, si elle n’a pas été comprise, c’est sans doute de ma faute. Qu’est-ce que je dis aux Africains ? Qu’ils n’ont pas la place qu’ils méritent dans l’organisation internationale du monde. Je n’accepte pas qu’il n’y ait pas un seul pays africain membre permanent du Conseil de sécurité. Il en faudrait au moins deux.

J’ai parlé de la nécessité pour l’Europe de construire un grand plan Marshall pour l’Afrique. Je veux le conditionner à un accord sur la lutte contre l’immigration clandestine, et l’obtention des visas, notamment de retour. L’Afrique doit prendre sa place dans la gestion des grands dossiers du monde. C’est pourquoi, j’ai voulu que l’Afrique du Sud soit membre du G20 et que je veux la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU avec deux postes pour l’Afrique.

Dans l’enquête pour le financement de votre campagne de 2007, la justice française vient de se procurer le carnet d’un dignitaire libyen, aujourd’hui décédé, et dans lequel il est écrit que la Libye du colonel Kadhafi a versé à l’époque près de 6,5 millions d’euros. Quelle est votre réaction ?

Mais combien de temps allez-vous vous rouler dans le caniveau ? Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? La guerre en Libye a duré dix mois. Pendant dix mois, le colonel Kadhafi était vivant. S’il avait eu la moindre pièce contre moi, pourquoi ne s’en est-il pas servi alors que je conduisais la coalition contre lui ? On ne peut pas à la fois me reprocher d’avoir conduit au départ du colonel Kadhafi, l’un des dictateurs les plus sanglants, et en même temps de m’accuser de… quoi ? C’est grotesque.

La campagne de 2012 s’est faite sur les mêmes accusations sauf qu’à l’époque, il s’agissait de 52 millions. Je me suis appauvri considérablement ! Et le document publié par Médiapart a été montré à la justice, qui en a conclu que c’était vraisemblablement un faux. Voilà que pour la campagne 2017, on trouve un carnet, un nouveau faux document. Le problème, c’est que l’auteur de ce carnet s’est noyé dans le Danube. Est-ce moi qui l’ai noyé ? Enfin… un peu de dignité, d’honnêteté et de recul.

On voit assez bien ce qui vous distingue d’Alain Juppé en matière de politique intérieure, mais moins en matière de politique internationale et notamment africaine…

Mais qui propose un plan Marshall sur l’Afrique ? Qui propose le conditionnement de l’aide économique à un accord sur la lutte contre l’immigration clandestine ? Qui propose qu’on tourne la page de relations complexées entre l’ancien colonisateur et l’ancien colonisé ? C’est moi. J’aime l’Afrique, j’y vais très souvent. Je pense qu’il y a un potentiel extraordinaire de développement. Je pense que nous sommes faits pour travailler ensemble et qu’il est temps d’ouvrir une nouvelle page de notre histoire commune. Je pense qu’aucun autre candidat n’a une politique africaine aussi complète, aussi cohérente.