A l’entrée de la « zone à défendre », à Notre-Dame-des-Landes, le 9 septembre. | LOÏC VENANCE/AFP

Dans la « zone à défendre », la ZAD, au sud du village de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), 1 650 hectares de bocage sur lesquels doit être construit le nouvel aéroport de Nantes, les occupants se préparent à l’éventuelle intervention des gendarmes mobiles qui annoncerait le début du chantier. Pour montrer leur détermination, zadistes et agriculteurs résistants historiques ont invité leurs soutiens à manifester samedi 8 octobre.

Trois cortèges doivent converger vers la ferme de Bellevue, où se dérouleront prises de parole et concerts. En baptisant cette initiative « le chant des bâtons », que chaque participant est invité à apporter et à laisser sur place pour servir le jour où les forces de l’ordre pénétreraient sur la zone, les zadistes affichent leur volonté de défendre les dizaines de lieux de vie où nombre d’entre eux ont développé des projets agricoles.

Depuis plusieurs semaines, les rumeurs d’intervention courent sur la ZAD et des militants venus de la France entière ont déjà préventivement rejoint le bocage. Parmi les nouveaux soutiens, la CGT du groupe Vinci – l’entreprise à qui on a confié la construction et la gestion du futur aéroport – a pris position contre le transfert de Nantes Atlantique, l’actuelle plateforme aéroportuaire. Elle appelle les salariés de Vinci à refuser de travailler sur tout chantier en lien avec le projet, et à invoquer le droit de retrait, car les travaux devraient se faire, à l’évidence, sous la protection des gendarmes.

Pour autant, même si le premier ministre, Manuel Valls, a annoncé maintes fois que les travaux débuteraient en octobre ou à l’automne, rien ne semble annoncer leur démarrage. Quasiment plus rien ne s’oppose désormais au chantier – hormis un contentieux avec l’Europe sur le respect de la réglementation environnementale et des procédures en appel. Les partisans du projet peuvent aussi se prévaloir d’une victoire à la consultation qui s’est tenue le 26 juin, le « oui » au transfert ayant emporté 55,17 % des voix.

Obstacle politique

Mais les choses sont plus compliquées. Le ministère de l’intérieur assure qu’il n’y a pas de date arrêtée pour l’évacuation du site. « La priorité, c’est de démanteler Calais », fait-on valoir place Beauvau. Actuellement, une dizaine de compagnies de CRS sont mobilisées sur Calais (Pas-de-Calais), auxquelles s’ajoutent environ quatre escadrons de gendarmerie mobile. Au moment du démantèlement, « il va falloir dégager des effectifsen plus, prévoit un cadre de la police. C’est une opération très consommatrice en énergie ». Et longue.

« Ça ne laisse pas la place à d’autres manipulations d’ampleur », confirme une source au sein de la gendarmerie.L’évacuation concomitante de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est par conséquent « matériellement impossible, selon le cadre de la police. Il faudrait un nombre important de forces, pour vider puis tenir le terrain, et en même temps tenir Nantes et Rennes » – deux villes où des manifestations de soutien seront aussitôt organisées.

Autre obstacle, plus politique : à huit mois de l’élection présidentielle, et alors que le souvenir de la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive sur la ZAD de Sivens (Tarn) le 26 octobre 2014, est encore vif, le gouvernement n’est pas pressé d’ouvrir un front qu’il sait à risques.

En attendant une éventuelle évacuation, réclamée par le président de région Bruno Retailleau (Les Républicains), les opposants veulent montrer leur force samedi. La manifestation n’a pas été interdite mais les organisateurs craignent que des tracasseries et d’éventuels contrôles sur les voitures n’handicapent l’arrivée des soutiens.

A Rennes, la préfecture a interdit à plusieurs militants de manifester. Jusqu’à présent, ces mesures de police administrative, prises sur la base légale de l’état d’urgence, visaient les manifestants contre la loi travail. Désormais, les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont également ciblés, d’après cinq arrêtés pris les 13 et 14 septembre par la préfecture d’Ille-et-Vilaine, que Le Monde a pu consulter. Sollicitée, cette dernière n’a pas souhaité communiquer le nombre total d’arrêtés.

« S’ils se décident à expulser Notre-Dame-des-Landes, on sera un certain nombre à ne pas pouvoir répondre aux appels à rassemblement dans le centre-ville », constate Gauthier (le prénom a été modifié), visé par un de ces arrêtés – en vigueur jusqu’à la fin de l’état d’urgence, prévue le 21 janvier 2017. Ce militant de 31 ans avait déjà été assigné à résidence pendant la conférence climat (COP21). « Le 14 septembre, les policiers sont venus nous interpeller, moi et deux personnes avec qui je vis. Ils étaient une trentaine, avec des boucliers et des béliers, rapporte Gauthier. Ils m’ont gardé 48 heures en garde à vue pour deux graffitis lors d’une manifestation contre la loi travail. C’est pendant cette garde à vue qu’ils m’ont remis l’arrêté d’interdiction de manifester. »

Félix (le prénom a été changé), 32 ans, est aussi visé par un arrêté. Pour étayer les « risques de troubles à l’ordre public », la préfecture argue de sa présence dans un squat en Italie en 2015 dans le cadre d’un mouvement contestataire contre l’exposition universelle à Milan et de sa participation à une opération « métro gratuit » pendant le mouvement contre la loi travail. Félix n’a pas encore été jugé.

Les cinq personnes visées par les arrêtés « sont présumées innocentes, rappelle leur avocat, Nicolas Prigent. Aucune ne présente un casier judiciaire ». Les recours en référé intentés auprès du tribunal administratif de Rennes ont tous été rejetés pour défaut d’urgence. « Notre-Dame-des-Landes est un enjeu collectif très partagé à Rennes. Les autorités ont tout intérêt à briser cet élan. La police passe en ce moment chez un certain nombre de personnes pour remettre des arrêtés. Beaucoup de gens évitent donc de rester chez eux », explique Félix. Un jeu du chat et de la souris que connaissent bien les occupants de Notre-Dame-des-Landes.