Le joueur néo-zélandais du Racing 92, Dan Carter (à droite), le 12 décembre 2015. | THOMAS SAMSON / AFP

La présence de corticoïdes dans les urines de trois joueurs majeurs du Racing 92
(Dan Carter, Juan Imhoff et Joe Rokocoko) lors de la dernière finale du Top 14, révélée par L’Equipe, souligne l’importance de ce produit dans le rugby de haut niveau. Ancien pilier international français, Laurent Bénézech a dénoncé son utilisation dans un livre, Rugby, où sont passées tes valeurs ? Un joueur brise l’omerta (éd. La Martinière, 2014). Il explique en quoi ce produit menace son sport.

Il y a deux ans, vous avez publié un livre dans lequel vous dénonciez l’usage des corticoïdes dans le rugby. On imagine donc que vous n’avez pas vraiment été surpris par la révélation de la présence de ces hormones dans les urines de trois joueurs du Racing 92 lors de la dernière finale du Top 14...

Laurent Bénézech : Je suis juste surpris que l’on puisse encore se faire attraper aux corticoïdes. En période hors compétition, c’est-à-dire la majorité du temps, ils ne sont même pas recherchés lors des tests antidopage. Il reste très peu de temps où l’on peut se faire attraper, et normalement les AUT [autorisations à des fins d’usage thérapeutique] permettent de ne pas avoir un contrôle positif.

Par contre, je ne suis pas surpris par l’utilisation de corticoïdes dans le sport de haut niveau. C’est le b.a.-ba que d’accompagner la construction de sa performance par la prise de corticoïdes.

Comment expliquer le succès de ces produits ?

Ils sont incontournables, car c’est vraiment l’hormone du courage. Les corticoïdes vont éteindre les récepteurs de la douleur et de la fatigue. Avec une intensité d’entraînement surhumaine, le moyen de pouvoir tenir les cadences, c’est d’aider son corps par la prise de corticoïdes.

Cela ne date pas d’hier…

Oui. J’ai témoigné devant la commission d’enquête du Sénat en 2013 sur le fait que j’avais l’intime conviction d’avoir été mis sous corticoïdes pendant la Coupe du monde 1995 (voir la vidéo de son témoignage).

On vous aurait mis sous corticoïdes sans que vous le sachiez ?

Tout à fait. A aucun moment on ne me l’a demandé. C’est uniquement par déduction, bien plus tard, que j’en ai été convaincu. Dans le cadre d’une opération à un œil, je suivais un traitement aux corticoïdes. J’avais repris l’entraînement physique et j’avais retrouvé le même ressenti [que pendant la Coupe du monde], cette sensation de surcapacité physique.

Après tout, pourquoi les rugbymen ne pourraient-ils pas prendre ces produits antidouleur afin de les soulager à certains moments de la saison ?

La raison immédiate est simple : les corticoïdes représentent un niveau de dangerosité important. Le corps étant intelligent, s’il y a une fabrication de cortisol exogène, le corps ne va plus en fabriquer lui-même. Le problème c’est que dès que vous arrêtez le traitement, le corps va se retrouver avec un taux de cortisol effondré. Or le cortisol a un certain nombre de rôles dans le corps, notamment de le protéger en cas de situation extrême. Si le corps subissait un choc important, et Dieu sait si dans le rugby c’est le cas, avec un niveau de cortisol effondré, les conséquences du choc seraient démultipliées.

En cyclisme, ils ont mis en place des contrôles cortisolémiques et dès que le taux est effondré, ils arrêtent le cycliste, le mettent en arrêt maladie pour éviter en cas de chute des situations de coma voire pire.

Dans une logique de pragmatisme à l’anglo-saxonne, il a été décidé d’être beaucoup plus répressif sur certains accompagnements durs, type EPO, et d’être plus permissif sur d’autres comme les corticoïdes, en considérant, ce qui est faux, qu’ils sont beaucoup moins dangereux.

Que nous apprend le cas des joueurs du Racing 92 sur le rugby actuel ?

Cette affaire démontre la surmédicalisation dans ce sport et l’hypocrisie. Car on est en train de nous expliquer que c’est pour soigner Dan Carter qu’on lui a donné des corticoïdes. Or les corticoïdes ne soignent pas, ils enlèvent la douleur. En aucune façon ils ne traitent (les causes). Les corticoïdes sont un traitement pour la performance, mais ce n’est en aucun cas un traitement de soin. L’articulation ou le muscle blessé ne peut que s’abîmer encore plus par la pratique de la compétition sous corticoïdes. On met doublement la santé du sportif en danger : à court terme et à long terme.