Depuis cinquante ans, Vladimir Cosma occupe les génériques du cinéma français et enchante notre imaginaire. Yves Robert, Gérard Oury, Jean-Pierre Mocky, Jean-Claude Pinoteau, Claude Zidi lui ont fait confiance pour mettre en musique leurs plus grands succès. Il nous a reçus, nous a montré ses partitions classées dans des meubles spécialement fabriqués pour elles et nous a dévoilé son tempo, sans nostalgie.

Le compositeur Vladimir Cosma. | Julien Bourgeois pour M le Magazine du Monde

Vous fêtez vos cinquante ans de carrière par une série de concerts à Paris puis en Province. Rétrospectivement, comment avez-vous vécu l’accélération du temps ?

Ces cinquante ans dont vous parlez correspondent à ma carrière en France. J’ai commencé la musique bien plus tôt, en Roumanie, que j’ai quittée à 22 ans. C’est assez effrayant ! On dit que notre époque est particulière sans jamais dire en quoi. Quand on regarde en arrière, les années quarante ou même la Révolution française, on se rend compte que notre époque est plutôt calme. C’est la vie qui passe qui me fait ressentir l’accélération du temps. Quand on est jeune, on pense que le temps est infini alors que la vie, elle, est finie. Et vite finie ! (rires). Depuis quelques années, ce sont les concerts, les disques ou les coffrets qui compilent mes musiques écrites il y a quarante ou cinquante ans qui me font prendre conscience de tout ce qu’il s’est passé et des échéances futures. Quand je participe à une rétrospective Rabbi Jacob, je constate que, sans De Funès ni Gérard Oury, je me trouve bien seul pour représenter le film. Ça remet les pendules à l’heure. (rires)

Vous continuez de composer. Vous vous projetez donc encore vers le futur.

Plus que jamais. Je continue de faire des musiques de films, je réponds aussi à des commandes. Je passe en effet mon temps à fouiller mon passé, tout en travaillant dans le présent pour le futur.

Comment se renouvelle-t-on ?

Je crois qu’il faut d’abord rester soi-même. Ne pas essayer de se renouveler à tout prix. Sinon c’est forcé. Je n’ai jamais été représentatif d’une mode. Je n’ai jamais été le musicien à la mode. Il y en a toujours eu un plus moderne que moi.

« Dans le temps, on passait deux à trois semaines à enregistrer avec les musiciens, le monteur, le réalisateur. Maintenant, on fait tout en deux heures, trois maximum ! » Vladimir Cosma

Vous représentez tout de même une période…

Oui. Maintenant ! Mais ce n’était pas le cas il y a quarante ou cinquante ans. Je ne faisais pas de rock, ni de musique dodécaphonique. J’ai plutôt visé la cohérence. Je crois qu’un compositeur exprime ce qu’il est et ce qu’il devient. On me dit parfois : « Dès que j’entends une musique, je sais que c’est vous. » Or, rien ne rapproche la musique de Rabbi Jacob de celle de Diva car je change les couleurs en permanence pour ne pas me répéter. Si le public ressent une constante, cela tient sûrement à ma personnalité.

Concrètement, comment le déroulement d’un film contraint-il la musique ?

Il n’existe pas de traité « Comment composer un opéra » ou « Comment composer une musique de film ». Cela relève des choix du compositeur. Le mien a été de ne pas faire une musique trop descriptive. Je veux souligner la couleur du film mais pas surligner ce que l’on voit à l’image. Mon premier grand succès par exemple est Le grand blond avec une chaussure noire. Les deux instruments forts sont la flûte de pan et le cymbalum. Pour accompagner l’arrivée de Pierre Richard à l’aéroport, le metteur en scène voulait un pastiche de James Bond. Je n’aime pas les parodies ou les pastiches. Alors je me suis dit qu’un espion n’était pas forcément anglo-saxon, qu’il pouvait venir du froid, de Russie ou de Roumanie par exemple. Je suis certain que personne n’y a pensé en l’écoutant mais moi, c’était ma démarche. La musique est un caméléon. Elle prend la couleur de l’image, plus que le contraire. Si vous mettez un andante d’un concerto de Mozart sur une scène d’amour, cette musique devient une musique romantique, alors que sur un film d’Hitchcock, avec un assassin qui vient tuer le personnage, cette musique très douce et lente devient vicieuse.

Vladimir Cosma. | Julien Bourgeois pour M Le Magazine du Monde

Quels sont les différents temps de la composition d’une musique de film ?

Il arrive que j’intervienne très en amont quand je connais le metteur en scène comme c’était le cas avec Gérard Oury ou Yves Robert qui me parlaient de leur projet avant même l’écriture du scénario. Et parfois, je suis appelé comme un artisan, une fois le film terminé. Je vois le film, on détermine les endroits où il faudra de la musique et j’écris. Il est même arrivé que je fasse la musique une fois le film complètement terminé, musique comprise. Ce fut le cas avec le film d’Ettore Scola, le Bal. Il avait travaillé avec son compositeur habituel Armando Trovajoli. Or, ce film est particulier car c’est un film musical, sans parole. Bref, une fois le film fini, le distributeur et les producteurs n’ont pas aimé la musique. Il a donc fallu la remplacer. Dans ce cas exceptionnel, j’ai dû refaire la musique avec des gens qui dansent sur une autre musique ! Parfois les acteurs dansaient une valse et j’ai écrit un rock ! Il a donc fallu synchroniser, ce n’était pas simple.

Vous aimez réaliser vos musiques. Vous arrangez, vous orchestrez, vous dirigez l’orchestre lors de l’enregistrement.

J’aime aussi choisir des solistes particuliers ou des chanteurs différents comme dans La Boum où je voulais un inconnu dont la voix était comme un instrument. Un chanteur qui n’interprète pas trop. Ce choix a pris sept mois et des centaines d’auditions.

Vous arrive-t-il de changer des choses au dernier moment quand vous confrontez la musique au film ?

Le tempo est très important. Au départ, je l’imagine au piano en me projetant sur l’orchestre de 80 musiciens. Or, ce que l’on fait au piano n’a rien à voir avec ce qui sera enregistré par l’orchestre. En général, l’orchestre ralentit et supporte un tempo beaucoup plus lent. C’est toute une cuisine.

Vous enregistrez avec l’image du film ?

Dans le temps, on avait toujours l’image. Il y avait beaucoup plus de moyens pour la musique. On passait deux à trois semaines à enregistrer avec les musiciens, le monteur, le réalisateur. Maintenant, on fait tout en deux heures, trois maximum !

Même sur les films importants ?

Oui ! Ils font des achats de droits. Personnellement ça ne me gêne pas car ils achètent mes musiques et je suis payé grassement (rires). Mais s’ils mettaient cet argent-là pour développer des musiques originales ça serait formidable ! Du coup on a des génériques qui durent 8 minutes avec des listes interminables de musiques additionnelles… (rires)

Vous étiez-vous imaginé une telle carrière quand vous étiez jeune compositeur en Roumanie ?

Absolument pas. À l’âge de 13 ou 14 ans, j’écrivais de la musique pour l’orchestre de mon père en Roumanie. Le cinéma était très local ou soviétique de propagande. Je ne connaissais pas l’importance de la musique de film en Occident. Je n’aurais donc pas pu rêver de cela avant. Je voulais simplement composer et faire de la musique. Puis le cinéma est venu comme une sorte de récompense. D’abord comme arrangeur puis comme compositeur.

La musique d’un film est contrainte par le film. Comment gérez-vous cette nécessité ?

Les contraintes de temps sont consubstantielles au métier de compositeur. N’oubliez pas qu’avant on était tenus par l’exigence de la lumière et la longueur des bougies au théâtre. Ces contraintes sont bénéfiques. Si l’on me donnait un temps infini pour écrire, je pourrais travailler sur la même minute de musique toute ma vie. Alors que si je sais que j’enregistre à la fin de la semaine, je dois la finir impérativement.

C’est une souffrance ?

Ça me stimule et ça m’angoisse. Je me dis : « Et si cette fois je ne trouvais pas d’idées… » Récemment je déjeunais avec Guillaume Connesson. Il est le plus grand compositeur français de musique symphonique. Il me dit : « J’ai profité du mois d’août pour travailler sur une nouvelle pièce. » « Tu as été productif, lui demandai-je. Combien de temps as-tu écrit ? » Il me répond : « Une minute trente, mais pas encore orchestrée. » Et moi : « En un mois ? Mais ta pièce va durer combien de temps ? » « 8 ou 9 minutes, je pense. » Autrement dit, il va travailler un an sur cette pièce (rires). Il fait un chef-d’œuvre.

A écouter aussi : la bande originale des « Aventures de Rabbi Jacob »

Vladimir Cosma - Le grand Rabbi - BO du Film Les Aventures de Rabbi Jacob
Durée : 02:40

À voir : Vladimir Cosma, 50 ans de succès, le 9 octobre 2016 au Palais des Congrès à Paris puis en tournée dans les Zéniths de France à partir de février 2017.