Supermarché de Del Mar, en Californie, en 2013. | MIKE BLAKE / REUTERS

La tendance peut passer inaperçue à New York, la ville où tout augmente contre vents et marées. Mais il suffit de traverser le fleuve Hudson et aller dans le New Jersey pour constater un phénomène inédit en cinquante ans : les prix de l’alimentation aux Etats-Unis n’ont cessé de baisser depuis neuf mois. Si l’on met de côté l’année 2009, c’est la plus longue période de déflation jamais connue depuis 1960.

A l’exception des fruits et des légumes dont les prix sont orientés à la hausse, notamment à cause de la sécheresse en Californie, pratiquement toutes les catégories d’aliments sont concernées. La viande de bœuf est à – 12 % sur un an, le blanc de poulet à – 5,1 %, le cheddar à – 3,7 %, le lait à – 10,8 %. Le record revient aux œufs, qui coûtent 39,7 % de moins qu’il y a douze mois. Ces derniers jours, le distributeur Aldi à North Bergen (New Jersey) proposait la douzaine au prix incroyable de 99 cents (88 centimes d’euros). Les œufs n’ont jamais été aussi peu chers depuis 2006, selon les statistiques du Bureau américain du travail.

L’amplitude de la baisse sur les œufs peut s’expliquer partiellement par le fait qu’il y a un an, la grippe aviaire avait obligé à tuer des milliers de poules, ce qui avait conduit à une baisse de la production et à une envolée des prix jusqu’à 3 dollars en moyenne la douzaine. Mais au-delà de cet effet de rattrapage, il existe bien une déprime généralisée sur le marché alimentaire qui fait le bonheur des consommateurs.

Spirale sans fin et marges rognées

A l’origine de ce phénomène déflationniste, une surproduction quasi généralisée. Abondance des récoltes et moindre demande de la Chine mettent en difficulté agriculteurs et éleveurs, qui sont obligés de baisser les prix pour écouler leurs marchandises. En août, face à la détresse d’un nombre grandissant d’exploitants, le département américain de l’agriculture a décidé d’acheter pour 20 millions de dollars de fromage qu’il a ensuite distribué aux banques alimentaires.

Ce mouvement a été amplifié par la chute des prix du pétrole, qui a considérablement fait baisser les coûts du transport et de la réfrigération. Dans un premier temps, cela a fait l’affaire des distributeurs, qui ont ainsi attiré plus de clients dans leurs magasins. Mais après plusieurs mois de guerre des prix, ils sont désormais entraînés dans une spirale sans fin qui rogne leurs marges.

Si Walmart arrive à s’en tirer en raison de sa taille, la rentabilité des Costco, Whole Foods Market ou US Food a sensiblement chuté au deuxième trimestre. Kroger, le leader du marché sur l’alimentation, a vu sa valorisation en Bourse fondre d’un quart. La déflation est telle qu’elle n’est plus compensée par l’augmentation des volumes. La direction d’une filiale du distributeur Smart & Final spécialisée dans la livraison aux restaurants expliquait récemment lors d’une réunion avec les investisseurs que ses ventes d’œufs avaient bondi de 42 %, mais que, dans le même temps, son chiffre d’affaires avait baissé de 34 %. Tous se demandent quand la grande braderie prendra fin.