Des tentes dans la « jungle » de Calais, le 7 octobre. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

« Le Secours catholique ne cautionnera pas le démantèlement d’ensemble de Calais, qui correspond à une enchère électoraliste nauséabonde. » A l’issue d’une réunion organisée, lundi 10 octobre à Calais, entre les associations humanitaires qui travaillent dans la « jungle » de Calais et les émissaires du ministère de l’intérieur, le responsable départemental du Secours catholique, Vincent de Coninck, se positionne contre l’opération gouvernementale, soutenu dans ce positionnement par sa direction nationale.

A une semaine de l’évacuation du campement insalubre où s’entassent quelque 8 000 migrants (selon les comptages minutieux de L’Auberge des migrants), l’association caritative estime que l’opération n’aura d’« humanitaire que le vernis de communication dans lequel on l’enrobe ». En fait, si elle ne peut qu’applaudir à la mise à l’abri des exilés, elle est farouchement opposée à la méthode gouvernementale qui veut parvenir à l’effacement total des infrastructures pour migrants dans cette zone.

« Or, qu’on le veuille ou non, Calais restera le passage obligé pour rejoindre la Grande-Bretagne. La ville connaît des afflux depuis vingt ans, ils ne vont pas se tarir tout à coup en 2016, parce que le gouvernement le veut. Demain les exilés seront de retour. C’est pourquoi il nous semble dangereux de détruire le centre d’accueil de jour avec ses douches, son foyer pour femmes et le centre d’accueil provisoire de 1 500 places dans des conteneurs », rappelle M. de Coninck.

En clair, l’association déplore que l’Etat s’acharne à faire disparaître la verrue du campement insalubre, sans rien proposer pour les exilés, qui ne manqueront pas d’y passer dans les temps à venir. Les arrivées massives dans le sud de l’Italie ayant montré ces derniers jours que le flux est loin d’être endigué.

Alors que les associations avaient été mandatées à la fin du printemps pour proposer des aménagements de ce bidonville, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est rentré de vacances avec l’obsession de faire disparaître la jungle de Calais. Un an auparavant, en avril 2015, c’est ce même ministère qui avait demandé aux associations de rapatrier tous les migrants autour du centre d’accueil de jour Jules-Ferry, qu’il avait décidé d’ouvrir… Face à ces tergiversations et ces changements de cap, les associations avaient donc déjà les nerfs à fleur de peau.

Montée au créneau de la droite dure

Le 2 septembre, Bernard Cazeneuve s’est rendu à Calais pour annoncer le démantèlement total du lieu avant la fin de l’année. Dans un premier temps, les ONG n’étaient pas ravies de ce changement de pied, et pas certaines qu’un démantèlement qui tombe du ciel à dix mois d’une échéance électorale majeure soit le fruit d’une préoccupation « humanitaire », surtout lorsque les camps ne sont pas là d’hier et que ce gouvernement aurait pu décider plus tôt que « la France ne sera pas le pays des camps », comme le chef de l’Etat le rappelait récemment. Mais face à la levée de bouclier de la droite dure, symbolisée par la montée au créneau de Laurent Wauquiez, les associatifs sont pourtant restés « sages » dans un premier temps et ont décidé de soutenir le gouvernement dans sa démarche.

L’idée d’intenter un recours auprès du juge administratif contre cette éviction a donc été rangée au tiroir, les associations se rendant compte qu’elles étaient piégées et feraient le jeu de la droite si elles ne soutenaient pas l’initiative.

Mais ce répit pour la Place Beauvau n’a été que de courte durée. Alors que le démantèlement est prévu pour le 17 octobre, le positionnement du Secours catholique est en effet un désaveu sanglant pour la méthode mise en œuvre par M. Cazeneuve. « Nous avions demandé qu’un vrai diagnostic soit établi et que les opérations soient menées dans le respect de la dignité des migrants, après prises en compte des cas individuels. Nous comprenons aujourd’hui que l’opération est précipitée et sera menée au pas de charge, ce qui entraînera inévitablement des violences », regrette M. de Coninck. Le ministre de l’intérieur met en effet une pression très forte sur les préfets de région qui avancent à marche forcée dans la recherche de places d’hébergement pour installer un peu partout en France les Afghans et les Soudanais de Calais.

Le Secours catholique déplore aussi que le ministre ait « oublié de nous annoncer le 2 septembre qu’il allait aussi fermer les centres d’accueil provisoire qui hébergent dignement 1 500 personnes et le Centre Jules-Ferry qui sert entre 3 000 et 4 500 repas quotidiens, permet un accès aux douches, à une école. La suppression de ces infrastructures va nous ramener dans la même situation dans laquelle nous étions au lendemain de la fermeture du centre d’accueil de Sangatte, en 2002, par Nicolas Sarkozy », rappelle le Secours catholique, pour qui ce seul souvenir reste humainement inacceptable.

« Une erreur humanitaire »

L’Auberge des migrants, elle aussi association historique du lieu, estime à l’unisson de l’association catholique « que fermer les centres créés depuis 2012 est une erreur humanitaire et nous ramène à la situation d’après Sangatte où nous retrouvions des gens dans les fossés ou les jardins, essayant de se cacher ». L’Auberge des migrants déclare aujourd’hui, par la voix de son président, Christian Salomé, qu’elle restera présente auprès des migrants pour orienter les plus vulnérables vers des solutions qui leur conviennent.

Côté Médecins sans frontières, l’attente reste de mise avant une réunion mardi avec le ministère de l’intérieur et le ministère du logement. L’« après » reste un problème pour Marie-Elisabeth Ingres, chargée des migrants chez les French Doctors. A ses yeux, « ce démantèlement ne réglera pas la question des réfugiés souhaitant se rendre en Grande-Bretagne ». De son côté, Franck Esnée, chargé lui aussi du dossier, voudrait des garanties sur « le sort réservé aux mineurs isolés et aux migrants qui peuvent prétendre à une réunification en Grande-Bretagne ». Bernard Cazeneuve a fait un aller-retour express en Grande-Bretagne aujourd’hui alors que depuis des mois le dossier avance à pas comptés.

Les relations se tendent donc entre le monde associatif et l’Etat. Une épine de plus dans le pied du gouvernement qui avait besoin de ces relais auprès des migrants. « Nous nous tiendrons à leurs côtés, dans notre rôle et veillerons au respect des droits fondamentaux », insiste Vincent de Coninck. Le ton est donné. Il reste quelques jours pour désamorcer la colère.