Lancé à la mi-août, le Galaxy Note 7 devait porter les nouvelles ambitions de la marque sud-coréenne Samsung. | JUNG YEON-JE / AFP

C’est l’histoire d’une catastrophe industrielle. Alors qu’en lançant son Galaxy Note 7 à l’été 2016 Samsung espérait asseoir son statut de numéro 1 mondial des smartphones et concurrencer frontalement Apple dans le segment du haut de gamme, l’affaire a pris un tout autre tour. Chronologie d’un naufrage.

  • Mardi 2 août : le Galaxy Note 7 est présenté à New York

Doté d’un écran de 5,7 pouces, le nouveau Samsung se situe clairement dans le registre des « phablettes », ces smartphones XXL. C’est également un appareil haut de gamme, commercialisé à 859 euros, avec des fonctionnalités telles que le scanner d’iris, qui doit venir concurrencer les produits d’Apple – notamment l’iPhone 7 dont la sortie est prévue quelques semaines plus tard. Pour le constructeur sud-coréen, il s’agit de résoudre une équation stratégique : se sortir de l’étau où il se trouve entre une concurrence très agressive des fabricants chinois sur le bas de gamme et le milieu de gamme, et sa rivalité avec Apple, qui a fait du haut de gamme sa chasse gardée. La commercialisation du Galaxy Note 7 doit commencer à compter du 19 août.

En cette fin d’été, tous les voyants sont au vert pour Samsung. Porté par la sortie six mois plus tôt des Galaxy S7 et S7 Edge, le constructeur a vu sa part de marché mondiale croître au-delà des 22 % dans le secteur des smartphones, selon deux études concordantes (IDC et Strategy Analytics). Les résultats financiers sont à l’avenant avec un bénéfice net en hausse de 1,7 %, au deuxième trimestre. Et les précommandes du nouveau Note 7 s’envolent au-delà de toutes les attentes – au point que la marque est obligée de retarder la sortie du téléphone dans certains pays, faute de stocks suffisants.

  • Vendredi 2 septembre : Samsung rappelle ses Galaxy Note 7

Lors d’une conférence de presse à Séoul, le 2 septembre, Samsung annonce le rappel des Galaxy Note 7. | KIM HONG-JI / REUTERS

Un mois jour pour jour après la présentation de son modèle, Samsung publie un communiqué pour annoncer le rappel du produit. « Nous avons reçu plusieurs signalements d’explosion de la batterie du Note 7. Nous avons confirmation qu’il y a un problème », déclare le chef de l’activité mobile de Samsung, Koh Dong-jin, lors d’une conférence de presse à Séoul, siège de la maison mère. A cette date, 35 cas d’incidents concernant la batterie du téléphone, qui, dans certains cas, a pris feu, ont été signalés. L’ampleur de l’opération de sauvetage est inédite pour Samsung, qui a déjà écoulé 2,5 millions d’appareils sur le marché. Les premières estimations du coût de l’intervention se situent alors autour du milliard de dollars.

  • Jeudi 8 septembre : les autorités américaines s’en mêlent

Le 8 septembre, l’administration fédérale américaine de l’aviation (FAA) – bientôt suivie par de nombreux homologues étrangers – émet un avertissement sur le Galaxy Note 7. Dans un communiqué, la FAA recommande aux passagers de « ne pas allumer ou recharger [ce modèle de smartphones] à bord, de ne pas le placer dans des bagages en soute ». Le constructeur, qui craint désormais au moins autant pour sa réputation à long terme que pour ses finances, se sent obligé de répondre, assurant que « la sûreté et la tranquillité de [ses] clients sont [sa] priorité » et que le remplacement des appareils défectueux commencera dès la semaine suivante.

Mais, le lendemain, c’est au tour de la Commission américaine de protection des consommateurs (CPSC) d’appeler les propriétaires d’un Note 7 de Samsung à l’éteindre et à arrêter de s’en servir d’ici à son remplacement. Le dimanche, Samsung doit se résoudre à formuler la même recommandation auprès des consommateurs sud-coréens. Le lendemain, l’action de Samsung chute de 7 % à la Bourse de Séoul…

  • Samedi 1er octobre : le nouveau Note 7 commercialisé en Corée du Sud

Un mois après le début du scandale, le fabricant sud-coréen reprend les ventes sur son marché domestique, où, assure-t-il, 80 % de ses clients ont échangé leur téléphone. Problème, certains utilisateurs ayant procédé à l’échange se plaignent de la surchauffe de leur appareil durant les appels ou d’une perte de charge rapide des batteries. Reconnaissant l’existence de nouvelles plaintes, une porte-parole de Samsung minimise celles-ci : il ne s’agirait que « de quelques cas isolés » de téléphones défectueux, assez habituels lors du lancement de nouveaux produits.

  • Mercredi 5 octobre : un avion évacué à cause d’un Note 7… remplacé

Alors qu’il s’apprête à décoller de Louisville (Kentucky) pour Baltimore, un avion de la compagnie Southwest Airlines doit être évacué alors que le téléphone de l’un de ses passagers se met à dégager de la fumée. Il s’agit d’un Samsung Galaxy Note 7 que son propriétaire venait pourtant de remplacer. Samsung réagit en affirmant que, « tant que nous n’avons pas l’appareil entre nos mains, il nous est impossible de confirmer qu’il s’agit bien d’un nouveau Note 7 », et ce, alors même que les photos diffusées après l’incident semblent assez explicites. La CPSC décide d’ouvrir une enquête. Le cas ne sera pas isolé : rien qu’aux Etats-Unis quatre autres incidents sont signalés. Dans deux d’entre eux les propriétaires affirment avoir été réveillés en pleine nuit par le dégagement important de fumée de leur téléphone qui avait pris feu…

  • Lundi 10 octobre : la fin de la production du Note 7 ?

Alors que l’agence sud-coréenne Yonhap vient d’annoncer la décision de Samsung de suspendre la production du Galaxy Note 7, le constructeur rétorque qu’il est en train de procéder à « un ajustement des volumes de production », afin d’« améliorer le contrôle qualité et permettre des investigations approfondies à la suite des récentes explosions de Galaxy Note 7 ».

Pourtant, la répétition des incidents – sans parler de l’opération de rappel des terminaux qui a pris du retard et n’est toujours pas close – semble avoir achevé de lasser les acteurs du marché. Après AT&T et T-Mobile US, c’est Verizon qui renonce à remplacer les Note 7. Soit les trois plus gros opérateurs américains.

Les analystes s’en donnent à cœur joie. « Pour moi, la meilleure chose à faire serait de renoncer purement et simplement au Note 7 », a déclaré Park Jung-hoon, gérant chez HDC Asset Management qui détient des actions de Samsung dans son portefeuille.

« Les gens en viennent à douter des qualités fondamentales de Samsung, et c’est dangereux. »

Pour Eric Schiffer, spécialiste de la stratégie des marques et président du cabinet Reputation Management Consultants, « si le Note 7 est maintenu, il pourrait conduire au plus important acte d’autodestruction dans l’histoire des technologies modernes ».