Attribution du prix Nobel d’économie à l’Académie royale des sciences, à Stockholm (Suède), le 10 octobre. | JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Le « prix d’économie de la banque de Suède en hommage à Alfred Nobel » (improprement nommé Nobel d’économie), a été remis cette année au Finlandais Bengt Holmström et à l’Américano-Britannique Oliver Hart – qui travaillent tous deux aux Etats-Unis. Il récompense leurs travaux théoriques sur le fonctionnement de l’entreprise, considérée comme un ensemble de contrats, implicites ou explicites, entre les parties prenantes (employeur et employé, entreprise et sous-traitants, mais aussi entre collaborateur et manager, investisseur et dirigeant, etc.).

L’essentiel de ces travaux date de la fin des années 1970 et des années 1980, mais, « quoique inconnus du grand public, ils ont ouvert, par des démarches différentes mais finalement convergentes, la voie à quarante années de recherche en microéconomie », estime Thomas-Olivier Leautier, chercheur à l’Ecole d’économie de Toulouse, dont l’un des directeurs de thèse était Bengt Holmström.

Celui-ci a ainsi cosigné plusieurs papiers avec Jean Tirole (Nobel d’économie en 2014), et a été l’un des rares invités d’honneur du Français lors de la remise de son propre prix Nobel à Stockholm.

L’entreprise considérée comme un réseau de transactions

Tous deux sont partis de la mise en évidence par les économistes américains Robert Akerloff et Joseph Stiglitz, dans les années 1970, de l’asymétrie de l’information dont disposent les acteurs de l’économie dans leurs transactions, mettant ainsi fin au dogme de l’information « parfaite » décrite par la théorie jusqu’alors.

Ce constat étant également valable à l’échelle de l’entreprise, celle-ci peut être considérée comme un réseau de transactions, de « contrats » tenant compte de cette asymétrie, et non pas comme le résultat d’un « équilibre optimal » entre ces parties, explique Philippe Askenazy, de l’Ecole d’économie de Paris.

Par exemple, un employeur, lorsqu’il recrute un employé, ne sait pas quels efforts celui-ci va fournir pour assurer la tâche qu’il lui confie, tout comme l’employé ne sait pas quels moyens l’employeur mettra réellement à sa disposition. De même, ni l’un ni l’autre ne peuvent prévoir les événements exogènes à leur relation de départ mais susceptibles de l’impacter, comme une maladie (de l’employé) ou les difficultés économiques (de l’entreprise).

Les « contrats » reflètent ces incertitudes que les deux économistes ont, chacun de leur côté, cherché à modéliser. Leurs travaux ont ainsi des implications concrètes en matière de gestion des ressources humaines, et plus généralement de gestion économique et financière dans la mesure où leurs modèles peuvent s’appliquer également à de multiples autres transactions de l’entreprise (avec le régulateur ou l’autorité publique, avec les banquiers, les assureurs, les investisseurs, les fournisseurs, etc.). Holström a par exemple travaillé sur les rémunérations des dirigeants d’entreprise par les actionnaires ; Hart sur les partenariats public privé, modélisant

Limiter l’incertitude

Pour Bengt Holmström, né en 1949 et professeur au Massachusetts Institute of Technology depuis 1994, un contrat contient donc par nature des incitations réciproques des deux parties destinées à limiter l’incertitude qu’elles font peser l’une sur l’autre.

Pour reprendre l’exemple du travail, Bengt Holmström montre que, pour s’assurer que l’employé réalisera bien les efforts nécessaires, l’employeur peut utiliser soit une augmentation de salaire, soit une promotion, mais que les effets seront différents en fonction des circonstances.

Il s’efforce aussi de modéliser, en s’inspirant de la théorie des jeux, le « contrat optimum », en montrant que si celui-ci peut améliorer, grâce aux incitations, les comportements des acteurs, il ne peut envisager les facteurs exogènes.

Modèles simplificateurs

Oliver Hart, né en 1948 et professeur à Harvard, s’est efforcé quant à lui de modéliser les « contrats incomplets ». Dépassant la conception classique de l’entreprise, qui y voit, avec l’économiste Ronald Coase, un nœud de coûts de transaction générant l’équilibre entre les parties, Oliver Hart y voit l’institution qui permet de « faire tenir ensemble » les parties alors que tous les éléments et événements de leurs relations ne peuvent, par définition, être connus d’avance et envisagés. Oliver Hart s’appuiera sur l’analyse du fonctionnement du marché noir dans les pays de l’est encore sous domination soviétique, dans la mesure où les prix n’y sont pas fixés par le fonctionnement d’un marché « normal », mais aussi par la confiance et le rapport de force entre les acteurs, la présence éventuelle d’un tiers influent, etc.

Mais là où Holmström s’efforce d’affecter une probabilité à ces événements incertains pour les modéliser, Oliver Hart s’efforce de modéliser les formes de contrats les plus « robustes » possibles en admettant l’impossibilité d’y intégrer l’immense champ des possibles.

Ainsi, pour l’un comme pour l’autre, les contrats reflètent le monde tel qu’il est, et non tel que la théorie économique voudrait qu’il soit. Certes, ils proposent tous deux, en bons théoriciens, des modèles simplificateurs visant à optimiser ces contrats. « Ils ont , mais ces modèles ont surtout ouvert la voie à d’innombrables travaux de microéconomie permettant de croiser ces modèles avec les données disponibles pour mieux comprendre l’hétérogénéité des firmes et de leur fonctionnement.