Lors du deuxième débat avant la présidentielle américaine, à Saint Louis (Missouri), le 9 octobre. | SAUL LOEB / AFP

Editorial du « Monde ». L’affrontement politique aux Etats-Unis peut paraître exotique à des Européens. Parfois de grande qualité, il lui arrive aussi de sombrer dans la vie privée des acteurs publics ou, comme depuis quelques années, d’être étouffé par le sectarisme idéologique d’un des deux grands partis, les républicains. Mais Donald Trump l’a sali, perverti, vulgarisé jusqu’à l’obscénité, comme jamais aucun candidat à la Maison Blanche ne l’avait fait depuis la naissance de l’Union américaine. Cet homme est une menace pour la démocratie.

Au fond, peu importe que le deuxième des trois débats télévisés, dimanche 9 octobre, entre le républicain et son adversaire démocrate, Hillary Clinton, se soit soldé ou non par une sorte de match nul. L’émission a été le reflet de la manière dont Trump a dégradé, depuis le début de la campagne, la joute démocratique que doit être l’affrontement entre les prétendants au bureau Ovale.

Recul du seuil de l’inacceptable

Voilà un homme qui a érigé son ignorance crasse de tous les dossiers en preuve de sa non-appartenance aux « élites », situation qui lui conférerait une supériorité naturelle sur ses concurrents ! Voilà un homme qui ment tellement qu’il a en quelque sorte neutralisé la notion même de mensonge : dans l’univers de Donald Trump, les faits eux-mêmes sont « élitistes » et ne doivent pas venir entraver la vision du monde que veut nous imposer ce roi de la télé-réalité.

Il a transféré dans l’arène publique le principe de la télé-réalité. Tel est son « apport » en politique

Trump a acquis une partie de sa notoriété en étant bateleur en chef à la télévision. Tel est son « apport » en politique : il a transféré dans l’arène publique le principe de la télé-réalité. Il s’agit de capter l’attention en repoussant toujours plus loin les limites de la vulgarité. Au nom du « parler vrai » et de la lutte contre le « politiquement correct », on fait reculer le seuil de l’inacceptable.

Trump a ainsi fait savoir aux électeurs qu’il était fort content de la taille de son pénis. Il s’est moqué du physique de l’une de ses concurrentes républicaines. Il flirte avec un propos ouvertement raciste – à l’adresse des « Latinos » et, plus encore, des Noirs. Il a confié la direction de sa campagne à un suprémaciste blanc. Il a laissé entendre – une blague, bien sûr ! – que les partisans de la totale liberté des ventes d’armes automatiques aux Etats-Unis, ses amis, trouveraient bien un moyen de régler son compte à Mme Clinton. Lui, le porte-parole des sans-voix, des victimes de la mondialisation, se vante de ne pas payer d’impôts.

Normalisation de l’obscénité

Tout est passé, sans entamer réellement sa cote de popularité auprès de l’électorat républicain. Trump normalise l’obscénité et banalise la violence verbale en politique. C’est toujours « pour rire », bien sûr, et toujours au nom de la lutte contre la pensée unique. Pour se dédouaner de révélations peu glorieuses sur sa manière de concevoir la vie amoureuse, il a fait venir dans le public, dimanche soir, quatre anciennes victimes supposées de Bill Clinton – sans doute dans l’espoir de déstabiliser Mme Clinton. Le « Donald » a de la classe.

Une bonne partie de la direction républicaine ne le soutient plus. Mais tel n’est pas le cas du cœur de l’électorat républicain. Les Etats-Unis sont l’une des plus vieilles et la plus grande des démocraties du monde. Ce qui s’y passe préfigure souvent ce qui va arriver ailleurs. Trump en campagne a dégradé la démocratie américaine. A la Maison Blanche, il ferait plus encore, il la menacerait.