Les voyages des dignitaires congolais aux Etats-Unis se transforment de plus en plus souvent en feuilleton judiciaire. En juin, la femme du président Denis Sassou-Nguesso, Antoinette, avait reçu en main propre une convocation judiciaire lors d’un séjour à Washington.

Mercredi 5 octobre, c’est le ministre des finances congolais, Calixte Ganongo, qui a été coincé dans un couloir du palace Mayflower, dans la capitale américaine, par un représentant du cabinet d’avocats White & Case, qui lui a remis l’ordre de venir s’expliquer dans ses bureaux le 26 octobre. Deux semaines plus tôt, Denis-Christel Sassou-Nguesso, le fils du président de la République du Congo connu pour son train de vie luxueux et surnommé « Kiki le pétrolier », a lui aussi reçu, le 19 septembre, une convocation judiciaire. Les deux hommes ne sont pas incriminés à titre personnel, mais ont ordre de détailler à la justice américaine ce qu’ils savent des actifs possédés par le Congo aux Etats-Unis.

Niveau vertigineux

Ces convocations judiciaires sont les derniers rebondissements de l’affaire Commisimpex, une longue bataille qui oppose l’homme d’affaires anglo-libanais Mohsen Hojeij et Denis Sassou-Nguesso, reconduit en mars à la tête du pays après avoir changé la Constitution et organisé des élections très controversées. Dans les années 1980, le premier possédait à Brazzaville l’entreprise de BTP Commissions Import Export (Commisimpex) et a effectué pour le Congo une série de travaux publics : réhabilitation d’une palmeraie, travaux d’assainissement de camps militaires, construction de « villages pour travailleurs »…

A l’époque, la facture n’avait été que très partiellement réglée. Depuis, les deux hommes, qui se connaissaient bien avant de se brouiller, règlent leurs différends devant les tribunaux. Ces dernières années, M. Hojeij semble avoir accéléré l’offensive. A force d’amendes et de dépassements d’échéances, la somme qu’il réclame atteint désormais le niveau vertigineux d’un milliard de dollars (900 millions d’euros). Soit l’équivalent de 12 % du PIB du Congo.

L’homme d’affaires a marqué des points ces dernières années. En 2000 et en 2013, il a remporté deux jugements de la cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI), basée à Paris, qui ont reconnu sa dette. Son objectif est désormais de les faire exécuter. Il faut pour cela les faire reconnaître dans différents pays pour essayer ensuite de saisir les biens appartenant au Congo ou au clan de M. Sassou-Nguesso.

Aux Etats-Unis, c’est chose faite depuis décembre 2015, puisque la cour du district de Columbia a reconnu l’arbitrage de la CCI. Il s’agit désormais d’identifier les biens qui peuvent éventuellement y être saisis. « Nous nous intéressons notamment à des résidences autour de Washington D. C., dans le Maryland », explique Francis Vasquez, l’avocat de M. Hojeij, du cabinet White & Case. Il est aussi question de comptes en banque, de revenus pétroliers, d’avions, de bateaux, de cargaisons de matières premières.

Jeu du chat et de la souris

Les avocats ont cependant besoin d’avoir plus d’informations sur ces actifs pour certifier l’identité des propriétaires. C’est dans ce cadre qu’interviennent les convocations judiciaires. Ceux qui les reçoivent sont priés de se présenter au cabinet d’avocats pour partager les informations qu’ils possèdent sur les actifs du Congo. S’ils ne viennent pas, ils s’exposent à une amende, qui peut s’élever à plusieurs milliers de dollars par jour.

Antoinette Sassou-Nguesso et Denis-Christel Sassou-Nguesso n’ont pas répondu à leur convocation. Le ministre des finances, M. Ganongo, est attendu le 26 octobre. « Je ne suis pas très confiant qu’il se présente », sourit M. Vasquez.

C’est donc un jeu du chat et de la souris qui se met en place à chaque fois qu’un officiel du Congo ou qu’un proche de la famille du président se rend aux Etats-Unis. Pour être légale, la convocation (subpoena) doit être remise en main propre. Les avocats de M. Hojeij doivent donc repérer les personnes qui les intéressent et les coincer pour leur remettre le subpoena. Le 5 octobre, le ministre des finances, M. Ganongo, était ainsi à Washington pour le sommet annuel du Fonds monétaire international quand il a été surpris au Mayflower. « Juste après avoir reçu la convocation judiciaire, il s’est précipité vers une bouche de métro », raconte M. Vasquez.

En juin, quand la première dame congolaise a reçu la sienne, une altercation avec son service d’ordre a brièvement éclaté, selon les documents judiciaires. L’avocat qui a remis le subpoena a été détenu quelques minutes par des hommes armés. Il avait donc appelé le numéro d’urgence de la police américaine pour demander de l’aide avant d’être finalement relâché.

Par ailleurs, M. Hojeij, qui consacre l’essentiel de son temps à tenter d’obtenir le paiement de sa dette, a aussi lancé des procédures en France. Une saisie de 6 millions d’euros puisés dans les comptes en banque des autorités congolaises en France a déjà été permise par le tribunal de grande instance de Paris en juillet 2015 et en décembre 2015.

Au Congo, M. Hojeij n’a cependant pas laissé que des bons souvenirs. Si personne ne conteste la dette initiale, beaucoup de voix se sont émues de la façon dont la somme a gonflé de façon exponentielle jusqu’à atteindre un milliard de dollars. Les autorités congolaises ont de leur côté tenté de renverser la vapeur. Elles ont déclaré Commisimpex en faillite en 2012, lui attribuant une dette fiscale de 700 millions d’euros. Ce serait donc l’entreprise de M. Hojeij qui devrait de l’argent au Congo et non l’inverse. L’homme d’affaire conteste ce verdict, qu’il juge frauduleux et a également été rejeté par la justice française. Après trois décennies, la bataille ne semble pas sur le point de se conclure.