La façade du laboratoire Biotrial, à Rennes, où des tests cliniques ont conduit à la mort d’un volontaire, en janvier. | LOIC VENANCE / AFP

En janvier, un essai clinique mené à Rennes par le centre de recherche Biotrial pour le compte du laboratoire Bial était interrompu à la suite du décès d’un participant volontaire. Ces tests constituaient la première expérimentation chez l’homme d’une nouvelle molécule, le BIA 10-2474, dont les indications potentielles n’étaient pas clairement définies. Depuis, la recherche des responsabilités respectives de Biotrial, de Bial, mais aussi de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) fait l’objet d’une instruction judiciaire, après une enquête administrative, qui a pointé des manquements de la part du centre de recherche et du laboratoire, et dans les évaluations internes.

  • En quoi consistait l’essai clinique mené à Rennes ?

L’essai clinique est un essai clinique de phase I (premier test chez l’humain, chez des personnes non malades pour vérifier l’absence de toxicité) comportant une étape de première administration à l’homme du médicament BIA 10-2474.

Ce nom de code désigne une molécule propriété du laboratoire portugais Bial. Elle appartient à la famille chimique des inhibiteurs de la FAAH (sigle anglais pour l’hydrolase des amides d’acides gras). Le mode d’action de ces composés aboutit à augmenter la concentration des récepteurs cannabinoïdes secrétés naturellement par l’organisme. Avant l’épisode de Rennes, les inhibiteurs de la FAAH étaient considérés comme prometteurs et plusieurs essais cliniques étaient en cours dans d’autres centre de recherche.

La demande d’autorisation de l’essai clinique avec le BIA 10-2474 a été déposée le 30 avril 2015 par le centre de recherches Biotrial pour le compte du promoteur Bial. Après avoir demandé des modifications du protocole proposé, l’ANSM a accordé son autorisation le 26 juin 2015 et un avis favorable a été rendu par le comité de protection des personnes (CPP) Ouest VI de Brest le 3 juillet 2015.

  • Que s’est-il passé lors de cet essai clinique ?

L’essai a débuté le 9 juillet 2015 et huit doses uniques croissantes ont été administrées aux volontaires (huit volontaires pour chacune des doses, soit 64 volontaires en tout). Le huitième groupe de volontaires a reçu la dose de 100 mg le 9 octobre 2015.

Dans une phase suivante : cinq doses croissantes de 2,5 mg à 50 mg étaient testées pendant dix jours chez cinq groupes de huit volontaires. Aucun effet indésirable n’est signalé jusqu’au démarrage des tests chez le cinquième groupe, le 6 janvier 2015. Au cinquième jour à la dose quotidienne de 50 mg, dimanche 10 janvier, un volontaire, Guillaume Molinet, âgé de 49 ans éprouve des symptômes qui amènent à l’hospitaliser au CHU de Rennes. Le lendemain matin, les sept autres volontaires de ce groupe reçoivent leur dose de 50 mg tandis que l’état de M. Molinet s’est aggravé : il tombe dans le coma et est déclaré en état de mort cérébral. Cinq autres volontaires seront hospitalisés à leur tour en raison de symptômes, avec une issue plus heureuse.

Pour expliquer les effets indésirables observés et la mort d’un volontaire, l’hypothèse a été avancée par des experts d’un effet « hors cible », c’est-à-dire d’une action trop peu spécifique de la molécule BIA 10-2474 qui aurait produit des effets au-delà du seul système endocannabinoïde. Pour l’instant, le mécanisme physiopathologique n’a pas été élucidé. Publié en avril 2016, le rapport du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) réuni par l’Agence nationale de sécurité du médicament pour analyser cette affaire, estime que l’accident mortel était « clairement lié » à la toxicité de la molécule testée. Les experts évoquaient « une probable accumulation progressive au niveau cérébral » du BIA 10-2474, du fait des doses répétées de 50 mg reçues par les volontaires.

  • Cet essai était-il justifié ?

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) indique : « En premier lieu, la question du bien-fondé même de l’essai a été soulevée. La valeur ajoutée potentielle du produit dans l’arsenal thérapeutique pouvait être mise en doute aux yeux de certains experts. Le protocole évoquait ainsi une panoplie très large de bénéfices thérapeutiques potentiels futurs sans argumenter l’apport spécifique attendu du produit par rapport à d’autres molécules. Dans ces conditions, la décision d’exposer des volontaires aux risques par définition non totalement prévisibles d’un médicament expérimental pouvait poser question. »

Ce commentaire s’appuie notamment sur le rapport du CSST. Il indiquait notamment : « Plus d’une dizaine d’inhibiteurs de ce type sont, ou ont déjà été, développés, aucun n’ayant, à ce jour, été commercialisé ; pour beaucoup, en raison d’une efficacité jugée décevante. »

  • Quelles sont les responsabilités des différents acteurs ?

C’est ce que devra établir l’instruction judiciaire. A la suite de l’enquête préliminaire qu’il avait ouverte le 15 janvier, le pôle de santé publique du parquet de Paris a ouvert, le 14 juin 2016, une information judiciaire contre personne non dénommée des chefs d’homicide involontaire et blessures involontaires.

L’enquête administrative menée par l’IGAS a examiné les responsabilités du centre de recherche rennais Biotrial, du laboratoire Bial et de l’autorité administrative, l’ANSM et le CPP Ouest VI de Brest, après avoir écarté celle du CHU de Rennes. Dans ce rapport, les inspecteurs de l’IGAS, Christine d’Autume et le Dr Gilles Duhamel, reprochent à Biotrial trois « manquements majeurs » dans la conduite de l’essai et la gestion de la crise à la suite du décès de M. Molinet. D’une part, ne pas s’être informé en temps et en heure de l’état de santé de M. Molinet lors de son hospitalisation. D’autre part, ne pas avoir immédiatement arrêté l’administration du produit aux autres participants – ce qu’il aurait dû faire dans le cadre de son devoir de « protection des volontaires » – et ne pas avoir formellement informé ces derniers. Enfin, les inspecteurs estiment que Biotrial n’a pas respecté son obligation d’informer sans délai les autorités sanitaires, l’ANSM n’ayant été formellement prévenue que quatre jours après l’hospitalisation de M. Molinet et trois jours après la décision de suspendre l’essai.

Le Figaro et Mediapart ont fait état de témoignages de participants à l’essai clinique qui n’auraient pas reçu « une information objective, loyale et compréhensible par le sujet », prévue par la loi, car ils n’ont pas été prévenus des effets indésirables, notamment neurologiques et pulmonaires – observés chez l’animal.

L’IGAS pointe le choix « insuffisamment précautionneux » du laboratoire Bial de passer à 50 mg en doses multiples croissantes, bien que ne contrevenant pas à la réglementation. Le passage de la dose de 20 mg à 50 mg a été effectué alors que les données les plus récentes dont disposaient les investigateurs concernaient celles correspondant à la dose de 10 mg.

Quant à l’ANSM, les inspecteurs ne retiennent pas de fautes dans l’octroi de l’autorisation à l’essai clinique Bial/Biotrial. Cependant, ils ont jugé que « l’économie d’ensemble du protocole et la latitude laissée pour sa mise en œuvre n’offraient pas un cadre suffisant pour la protection des personnes participant à l’essai ».

Le rapport a été critiqué dans la presse. Outre le fait que le directeur général de l’ANSM, Dominique Martin, et l’un des deux inspecteurs de l’IGAS, Gilles Duhamel, ont fait partie d’un même cabinet ministériel de 1999 à 2000, celui de Dominique Gillot, plusieurs médias ont accusé l’ANSM d’avoir édulcoré un rapport interne, voire d’avoir dissimulé des informations. L’ANSM a catégoriquement démenti ces accusations.

  • Quelles leçons ont été tirées ?

Lors de l’annonce de la publication du rapport de l’IGAS, le 23 mai, la ministre de la santé, Marisol Touraine, annonçait que les règles encadrant les essais cliniques en France allaient être renforcées afin de mieux protéger les volontaires qui y participent. Dans un premier temps, elle avait demandé à Biotrial de fournir un « plan d’action » destiné à minimiser les risques et renforcer la formation de ses personnels, faute de quoi, « son autorisation de lieu de recherche pour essais de phase I sera suspendue ».

La ministre a demandé aux agences régionales de santé (ARS) et à l’ANSM une inspection d’ici à la fin 2016 de l’ensemble des centres autorisés à mener des essais cliniques. Enfin, Marisol Touraine devait proposer au comité européen des agences nationales de médecine d’harmoniser les modalités d’évaluation et de gestion de tels accidents.