Lundi 10 octobre s’est ouvert à Lomé, au Togo, le Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur la sécurité maritime, en présence d’une trentaine de chefs d’Etat. Si le sommet se veut une tribune pour débattre des questions de pêche illégale, de pollution, de trafics de drogues et d’armes par voie maritime, le sujet central sera la lutte contre la piraterie au large des côtes africaines. Qui est touché par ce phénomène ? Où sont les pirates ? Comment la lutte s’organise-t-elle ? Des éléments de réponse avant l’éventuelle signature d’une charte africaine contre la piraterie.

  • Quelle est l’ampleur de la piraterie maritime en Afrique ?

Au premier semestre 2016, les actes de piraterie maritime dans les eaux africaines ont représenté plus du tiers des attaques pirates répertoriées dans le monde par le Bureau maritime international (BMI). En effet, sur les 98 actes expliqués dans le rapport bi-annuel de l’organisation, 34 ont eu lieu au large des côtes du continent.

Les eaux nigérianes, avec 24 attaques de pirates depuis le début de l’année, sont devenues l’un des épicentres mondiaux de la piraterie : sur les 44 équipages kidnappés dans le monde, plus de la moitié l’ont été au Nigeria. Le pétrole du delta du Niger, plus importante réserve d’hydrocarbures du continent, est au cœur de ces luttes sur mer : depuis le début d’année, quasiment toutes les attaques pirates ont visé des transporteurs de l’or noir puisé dans le Delta.

Le modus operandi est simple, et se retrouve dans les attaques du reste du golfe de Guinée (trois au premier semestre) : les pétroliers sont attaqués par des pirates, puis conduits sur les côtes nigérianes pour revendre l’or noir volé au plus offrant. En 2013, un pétrolier de la société française Sea Tankers avait ainsi été détourné au large d’Abidjan par des pirates vers le Nigeria, 200 tonnes de son fuel avaient été siphonnées avant qu’ils ne prennent la fuite pour échapper à une intervention de l’armée nigériane.

Par l’instabilité chronique depuis 2010 dans le delta du Niger, le Nigeria est autant victime des pirates que base arrière des groupes armés opérant dans le golfe de Guinée. « Il y a une forte frustration au Nigeria d’une population qui ne profite pas des immenses ressources pétrolières que les compagnies étrangères puisent dans le delta du Niger, analyse Barthélémy Blédé, chercheur au sein de l’Institute for Security Studies. Et du coup, ils se servent. » Pour le seul Nigeria, l’institut de recherches anglais Chatham House estime à 1 milliard de dollars (900 millions d’euros) par an les pertes engendrées à cause de la piraterie.

  • La piraterie dans le golfe d’Aden a-t-elle baissé ?

Sur les six premiers mois de 2016, le BMI n’a notifié qu’un seul acte de piraterie dans le golfe d’Aden, au large de Djibouti, de la Somalie et du Yémen. Autrefois, cette région était le centre névralgique de la piraterie mondiale, et notamment des attaques à main armée sur des navires de plaisance. « Cette baisse s’explique par une forte présence de navires de guerre étrangers, sécurisant une zone qui est un lieu stratégique et un point de passage essentiel de la région », explique ainsi le chercheur. Néanmoins, les risques de piraterie au large des côtes somaliennes existent toujours, du fait de l’instabilité du pays.

  • Quelle lutte contre la piraterie en Afrique de l’Ouest ?

En 2013, à l’appel du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, le sommet de Yaoundé avait abouti à un mémorandum d’entente et à la signature d’un code de conduite entre la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Commission du golfe de Guinée (CGG), pour une lutte mutualisée contre la piraterie. Mais, trois ans après, les résultats sont maigres : le code de conduite n’a été suivi d’aucun effet. « Alors qu’il devait aboutir à des mesures contraignantes à un horizon de trois ans après la signature, aucune réunion n’a eu lieu depuis 2013 sur ces questions », relève Barthélémy Blédé.

Deux centres régionaux devaient par ailleurs être créés afin de coordonner l’action des garde-côtes dans la zone. Cependant, à Abidjan, le Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest (Cresmao) n’a pas encore ouvert ses portes, et celui pour l’Afrique centrale, le Centre régional de la sécurité maritime de l’Afrique centrale (Cresmac), situé à Pointe-Noire, en République du Congo, a d’importantes lacunes techniques. « Il n’y a pas d’accès à Internet, et parfois les ordinateurs ne marchent pas », déplore M. Blédé, qui s’est rendu sur place. Mais le Cresmac, inauguré en 2014, reste une bonne base pour une future coopération régionale : c’est à son initiative qu’un exercice mêlant garde-côtes congolais et camerounais a pu prendre place, fin 2015.

L’Union européenne (UE) s’est aussi mobilisée dans l’assistance des marines nationales de la région. A travers l’opération « Crimgo », la France, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni participent depuis 2013 à la formation de garde-côtes. Il s’agit aussi de développer la coordination entre eux dans tout le golfe de Guinée.

Parallèlement, une coordination entre les Etats africains s’est mise en place depuis quelques années : contre les attaques répétées de pirates dans les eaux territoriales béninoises, le Bénin et le Nigeria ont lancé en 2011 l’opération « Prospérité » pour traquer les pirates qui opèrent dans leurs eaux territoriales. Si en 2011 et 2012, les eaux béninoises avaient été le théâtre de 13 attaques pirates, le BIM n’en a relevé aucune depuis, et l’opération a de facto pris fin en 2014.

  • Qu’attendre de ce sommet de Lomé ?

Le Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur la sécurité maritime, qui se tient jusqu’à samedi, pourrait permettre l’adoption d’une charte pour définir un cadre légal pour une coopération régionale dans la lutte contre les pirates. Aujourd’hui, malgré quelques initiatives, la régionalisation de la réponse face à la piraterie reste très lacunaire.

Elle est pourtant essentielle. « La plupart des pays africains qui ont une façade maritime sont victimes d’un de ces problèmes, d’où l’importance pour les dirigeants africains de s’asseoir et de discuter pour essayer de trouver des solutions », vient d’affirmer le ministre des affaires étrangères togolais Robert Dussey.

Le défi de cette charte, si elle est adoptée ? « J’estimerai réussi ce sommet si un comité de suivi est nommé », pense Barthélémy Blédé. Alors que le sommet de Yaoundé s’était conclu sur des promesses ambitieuses mais peu suivi d’effets, la clé de la réussite de celui de Lomé réside dans une mise en place effective et rapide des accords qui seront signés.