La loi santé, votée en décembre 2015, a acté l’expérimentation des « salles de shoot » à Paris et Strasbourg pendant six ans. | JOHN MOORE / AFP

Que s’est-il passé entre le 14 décembre 2009, jour où le député Jean-Marie Le Guen a défendu devant le Conseil de Paris la mise en place de salles de consommation de drogue dans la capitale, et le 11 octobre 2016, date de l’inauguration la première salle ? Retour sur un débat politique et un parcours législatif de près de sept ans.

  • Mai 2009 : premier test

Le 19 mai 2009, à l’occasion de la Journée mondiale des hépatites, six associations installent une salle de consommation à moindre risque (SCMR) rue de Belleville à Paris. Cette opération, soutenue par le socialiste Jean-Marie Le Guen, alors adjoint au maire, visait à sensibiliser les pouvoirs publics sur l’efficacité de ce dispositif déjà en place dans d’autres grandes villes d’Europe.

  • Décembre 2009 : Jean-Marie Le Guen convainc le Conseil de Paris

Egalement chargé des questions de santé au sein du PS à cette époque, Jean-Marie Le Guen défend devant le Conseil de Paris du 14 décembre 2009 la mise en place d’une SCMR. Première victoire : dans la soirée, la Ville de Paris vote une subvention de 26 000 euros à l’association Elus, santé publique et territoires (ESPT) afin qu’elle mette en place une expertise sur les salles d’injection, avant une possible expérimentation.

  • Juin 2010 : l’avis favorable de l’Inserm

Le 30 juin 2010, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rend les conclusions de son expertise collective sur la « Réduction des risques chez les usagers de drogues » à la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot. Dans ce document, l’Inserm juge que les centres d’injection supervisés sont efficaces pour atteindre les consommateurs à haut risque, ainsi que limiter les infections, les overdoses et la consommation dans les lieux publics.

  • Juillet 2010 : Roselyne Bachelot souhaite une concertation

A Vienne pour la Conférence internationale sur le sida le 19 juillet 2010, la ministre de la santé annonce vouloir « engager une concertation avec tous les partenaires concernés et, notamment, les collectivités locales ». Dès lors, son annonce provoque un vif débat au sein de la droite, entre le gouvernement et l’UMP.

  • Août 2010 : François Fillon dit non

Près d’un mois après le souhait formulé par Roselyne Bachelot, le 12 août 2010, le premier ministre se prononce contre les centres de consommation supervisés. Dans un communiqué, François Fillon clôt le débat, jugeant ces installations « ni utiles, ni souhaitables », car la priorité doit être « de réduire la consommation de drogue, non de l’accompagner, voire de l’organiser ».

  • Août 2012 : la gauche au pouvoir, Jean-Marie Le Guen revient à la charge

Quelques mois seulement après l’élection de François Hollande, Jean-Marie Le Guen rappelle le président à l’une de ses promesses de campagne. Dans une interview au Parisien du 29 août 2012, le député socialiste affirme : « Aujourd’hui il y a une urgence […]. Il faudrait autoriser, comme cela se fait à l’étranger, des salles de consommation de drogue, mais de façon très encadrée. » En 2012 déjà, il assure que, « à Paris, nous sommes prêts à monter très rapidement une ou plusieurs de ces salles ».

  • Octobre 2012 : Marisol Touraine veut agir

Dans une interview à BFM-TV le 21 octobre 2012, la ministre de la santé déclare son souhait d’annoncer le lancement des expérimentations sur des salles de consommation de drogue à moindre risque (SCMR) « avant la fin de l’année ».

  • Février 2013 : feu vert de Matignon

Les services du premier ministre, Jean-Marc Ayrault, annoncent le 5 février 2013 que Paris est autorisée à ouvrir, à titre expérimental, une SCMR.

  • Septembre 2013 : le gouvernement présente un plan

Le 19 septembre 2013, les avancées se précisent avec la présentation du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 dont l’expérimentation des SCMR est l’une des mesures phares.

  • Octobre 2013 : le frein du Conseil d’Etat

Alors que Matignon voulait ouvrir une salle rapidement, le 10 octobre 2013, le Conseil d’Etat freine considérablement le calendrier. Sollicité par le gouvernement lui-même, le Conseil d’Etat recommande d’inscrire le dispositif des SCMR dans la loi. Il s’agit d’un moyen de « sécuriser juridiquement » le programme afin qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi de 1970 qui pénalise l’usage de stupéfiants. Avant ce frein, le projet parisien de « salle de shoot » (comme le nomment ceux qui s’y opposent) était le plus avancé. Une adresse près de la gare du Nord avait été retenue, une subvention de la Ville de Paris avait été votée, et il ne manquait plus que la publication d’un décret au Journal officiel pour pouvoir lancer les travaux.

  • Août 2014 : les SCMR intégrées à un projet de loi santé

Dans son avant-projet de loi relatif à la santé, le gouvernement propose d’expérimenter les salles de consommation de drogue à moindre risque pendant une durée de six ans. Le texte est présenté en conseil des ministres en septembre, pour un examen au Parlement début 2015.

  • Décembre 2015 : la loi santé adoptée

Après avoir été approuvée à l’Assemblée en avril, puis au Sénat en septembre, la loi santé est définitivement adoptée le 17 décembre 2015. Dans ses articles 8 et 9 figure l’expérimentation des « salles de shoot » à Paris et Strasbourg pendant six ans. Dès lors, le ministère de la santé assure que les choses peuvent « aller très vite » et que ces salles pourraient être autorisées à ouvrir dès la fin du mois de mars 2016. Entre-temps, le conseil régional d’Ile-de-France a retiré sa subvention à la salle parisienne, une perte que la Ville de Paris a compensée.

  • Octobre 2016 : ouverture de la première « salle de shoot » de Paris

Elle devait se trouver 39 boulevard de la Chapelle, la première SCMR de la capitale inaugurée le 11 octobre 2016 se trouve finalement dans un bâtiment de l’hôpital Lariboisière, 4 rue Ambroise-Paré. « C’est un dispositif santé, on l’adosse à l’hôpital », avait justifié en 2015 Bernard Jomier, adjoint au maire de Paris chargé de la santé. Puisqu’il s’agit d’une expérimentation, le dispositif sera évalué six mois avant sa fin, prévue en 2022.

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