Vladimir Poutine au Kremlin, à Moscou, le 14 juillet 2016. | VASILY MAXIMOV / AFP

Editorial du « Monde ». L’affaire relève d’un positionnement diplomatique nuancé. Mais, en diplomatie, les nuances comptent, elles parlent. Les faits sont simples. Vladimir Poutine était attendu à Paris, le 19 octobre, en visite privée, pour l’inauguration d’une cathédrale russe orthodoxe sur la rive gauche de la Seine, au moment où la Russie est accusée par la France de « crimes de guerre » en Syrie. Le président russe, a-t-on annoncé mardi matin à Paris, a finalement décidé de « reporter » sa visite.

Cette visite, décidée il y a un an, avait été confirmée il y a plus d’un mois quand Américains et Russes s’efforçaient encore d’obtenir un cessez-le-feu entre Damas et la rébellion syrienne. L’arrêt des combats a duré six jours, à la mi-septembre. Après quoi, la Russie s’est lancée avec le régime de Bachar Al-Assad dans une campagne de bombardements aériens intense contre la partie est de la ville d’Alep. Bombes au phosphore, bombes incendiaires, bombes à fragmentation, barils d’explosifs largués depuis des hélicoptères : cette partie de la deuxième ville de Syrie, dans le nord du pays, est soumise à un déluge de feu depuis des semaines.

Tous les témoignages concordent – ils sont nombreux, des observateurs de l’ONU à la Croix-Rouge : la cible première, c’est la population civile, les 250 000 personnes encore présentes dans ces quartiers. Les morts se comptent par milliers. Les forces syro-russes veulent vider Alep, pour permettre au régime d’en reprendre le contrôle – même si les djihadistes ne sont pas la force principale de la rébellion dans la ville.

Ambiance de guerre froide

Avec raison, et soutenue par la quasi-totalité du Conseil de sécurité de l’ONU, la France a déposé devant cette instance un projet de résolution réclamant l’arrêt des combats. La Russie y a mis son veto. Avec raison toujours, la France a voulu recalibrer la visite de Vladimir Poutine à Paris : François Hollande était prêt à le voir à l’Elysée pour une conversation sur la Syrie. Mais contrairement à ce qui avait été prévu, le président français ne participerait pas à l’inauguration de la cathédrale orthodoxe. Position de Paris : Il faut parler à Poutine, pas l’honorer. Le président russe n’a pas apprécié.

Au moins sur le plan rhétorique, on revient à une ambiance de guerre froide. Entre la Russie et les Occidentaux, les relations n’ont jamais été aussi dures depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Les historiens départageront les torts, il y en a des deux côtés. Mais depuis quelques années, le président russe, notamment à des fins intérieures, développe un discours anti-occidental obsessionnel sur le thème de l’encerclement de son pays : Américains et Européens n’auraient d’autre souci que de l’empêcher de redevenir une grande puissance.

Toute la diplomatie de Barack Obama indique le plus souvent le contraire. Mais Vladimir Poutine conforte sa position, intérieure et extérieure, en entretenant cette fiction d’un complot occidental piloté depuis Washington et qui expliquerait chacune des situations conflictuelles de l’heure : de la Géorgie à l’Ukraine, en passant par le Moyen-Orient. Il durcit tous les fronts : manœuvres et provocations répétées aux frontières de l’OTAN ; déploiement de missiles nucléaires dans l’enclave de Kaliningrad ; arrêt de la collaboration avec les Etats-Unis en matière de désarmement nucléaire, notamment.

Il montre sa force en s’opposant. Contrairement à ce que pensent ses thuriféraires de la droite européenne, c’est plus une diplomatie adolescente que mûre et réfléchie.