Vous reprendrez bien une louche de référendums ? Vendredi 7 octobre sur France 2, Nicolas Sarkozy a mis sur la table deux nouveaux sujets qu’il souhaite soumettre aux Français : l’internement des fichés S jugés dangereux et la suspension du droit « automatique » au regroupement familial.

Les rivaux de l’ancien chef de l’Etat en ont profité pour rappeler qu’ils proposent eux aussi de nombreux référendums. En explorant les programmes et déclarations publiques des sept candidats à la primaire de la droite, nous avons recensé au total treize propositions de questions, venant de quatre candidats (et parfois partagées par plusieurs d’entre eux) : Nicolas Sarkozy, donc, mais aussi Bruno Le Maire, François Fillon et Jean-Frédéric Poisson (Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-François Copé n’en ont pas formulé à notre connaissance pour l’instant).

Un cadre constitutionnel restreint l’usage du référendum

On ne peut pas tout faire en matière de référendum. Deux articles de la Constitution encadrent en effet assez strictement son utilisation :

  1. L’article 11 dit que peut être soumis au référendum « tout projet de loi » sur « l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » ;
  2. L’article 89 prévoit la possibilité de faire adopter une révision constitutionnelle par référendum.

Pour poursuivre l’exercice entamé avec les dernières propositions de Nicolas Sarkozy, nous avons soumis l’intégralité des propositions de référendums des candidats à la primaire de la droite à des juristes. Le point proposition par proposition.

Méthodologie

Un flou juridique entoure le cas d’un référendum qui n’entrerait pas dans le champ prévu par la Constitution. Le Conseil constitutionnel a un rôle de contrôle des opérations référendaires défini par l’article 60 de la Constitution. Jean-Philippe Derosier et Dominique Rousseau, deux constitutionnalistes interrogés par les Décodeurs, estiment que l’instance pourrait en empêcher la tenue en annulant le décret de convocation, puisqu’elle intervient désormais a priori. Un troisième, Pascal Jan, est plus mesuré, rappelant notamment l’absence de précédent en ce sens.

Nous avons donc séparé les propositions de référendums en deux catégories :

  1. Celles qui semblent tout à fait possibles ;
  2. Celles qui pourraient poser problème car non conformes à la Constitution, sans certitude sur ce qu’il adviendrait de la procédure.

1. Réduire le nombre de parlementaires

Qui le propose ? Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy et François Fillon.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

Pour Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po Bordeaux, la réduction du nombre de parlementaires relève bien de « l’organisation des pouvoirs publics » mentionnée à l’article 11 de la Constitution. Selon lui, il n’y a pas besoin de modifier la Constitution pour cela, car son article 24 ne fixe qu’un nombre maximum de députés et de sénateurs. Le fait que le nombre de parlementaires soit actuellement fixé par une loi organique n’est, pour lui, pas un obstacle, car le référendum peut porter sur « tout projet de loi » dont le thème est adéquat. Il ajoute que « la plupart des mesures d’organisation des pouvoirs publics relèvent de la loi organique ».

Il faut en revanche noter que, dans le cas de Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire qui veulent un référendum dès le 18 juin 2017 (jour du deuxième tour des législatives), un obstacle plus politique se dresserait sur la route du référendum. L’organisation de ce dernier suppose de convoquer les parlementaires (qui habituellement ne siègent pas en période électorale) pour organiser un débat. Cela donnerait aux députés – encore en majorité de gauche – la possibilité de déposer une motion de censure.

2. Mettre fin au non-cumul des mandats

Qui le propose ? Nicolas Sarkozy.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

La question porterait sur « l’organisation des pouvoirs publics » et ne poserait donc pas de problème, estime Pascal Jan. Preuve qu’une simple loi suffit pour cela : l’instauration du non-cumul était passée sans révision constitutionnelle.

3. Limiter le nombre de mandats parlementaires à trois dans le temps

Qui le propose ? Bruno Le Maire.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

Suivant le même raisonnement que pour le non-cumul des mandats, la question est conforme à l’article 11 de la Constitution.

4. Obliger les hauts fonctionnaires à démissionner de la fonction publique quand ils deviennent parlementaires

Qui le propose ? Bruno Le Maire.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

Toujours selon le même raisonnement que précédemment, la proposition est conforme au cadre du référendum.

5. Publier le bulletin n°2 du casier judiciaire de toute personne souhaitant se présenter à une élection

Qui le propose ? Bruno Le Maire.

POURQUOI C’EST DOUTEUX

La conformité de cette question est loin d’être évidente, selon Pascal Jan, car elle est « très large » et « dépasse l’organisation des pouvoirs publics ».

6. Réformer l’organisation des territoires en rapprochant les régions et les départements

Qui le propose ? François Fillon.

POURQUOI C’EST DOUTEUX

Pour Pascal Jan, cette question dépasse l’organisation des pouvoirs publics puisqu’elle touche à l’organisation des collectivités territoriales.

7. Suspendre le droit « automatique » au regroupement familial

Qui le propose ? Nicolas Sarkozy.

POURQUOI C’EST DOUTEUX

La question ne relève d’aucun des cas prévus par l’article 11 de la Constitution, mais plutôt des droits de l’homme. Pour Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille, on pourrait se poser la question de son appartenance au champ du « social », mais selon lui ce terme regroupe en principe « le droit des travailleurs et la politique sociale », pas la politique familiale, les droits de l’homme ou l’immigration.

8. Fixer des quotas d’immigration

Qui le propose ? François Fillon.

POURQUOI C’EST DOUTEUX

Ce sujet relèverait plutôt des droits des étrangers et des libertés individuelles, selon Pascal Jan, ce qui n’entrerait pas vraiment dans le cadre de l’article 11.

9. Interner préventivement les « fichés S » jugés dangereux

Qui le propose ? Nicolas Sarkozy.

POURQUOI C’EST DOUTEUX

Selon les trois juristes que nous avons interrogés sur le sujet, la question sort clairement des cas prévus par l’article 11 de la Constitution. Elle relève en fait plutôt des droits de l’homme, explique Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

10. Un référendum sur les aides sociales versées aux ressortissants étrangers

Qui le propose ? Jean-Frédéric Poisson.

POURQUOI C’EST PLUTÔT POSSIBLE

La question rentrerait a priori dans le cadre de la « politique sociale », mais il faudrait connaître la question exacte pour s’en assurer, selon Pascal Jan.

11. Faire ratifier un éventuel nouveau traité européen par référendum

Qui le propose ? Bruno Le Maire, François Fillon et Nicolas Sarkozy.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

Rien ne s’oppose à un tel référendum sur l’Europe, comme le montrent les exemples des référendums de 1992 et 2005.

12. La fin des régimes spéciaux de retraites

Qui le propose ? François Fillon.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

La question entrerait tout à fait dans le cadre de la « politique sociale », selon Pascal Jan, ce qui fait que rien ne s’opposerait au fait de la soumettre aux Français.

13. Inscrire la « règle d’or » d’équilibre budgétaire dans la Constitution

Qui le propose ? François Fillon.

POURQUOI C’EST POSSIBLE

Rien ne s’oppose à cette réforme, qui passerait par une procédure de révision constitutionnelle. L’inscription de cette règle dans la Constitution pourrait néanmoins entraîner des problèmes de fond, car elle nécessiterait de modifier à nouveau la Constitution s’il fallait un jour s’y soustraire, alors qu’elle figure déjà dans la loi organique.