Des cercueils de policiers tués lors d’une attaque contre un poste-frontière, à Maungdaw, le 11 octobre. | KHINE HTOO MRAT / AFP

Les Rohingya, minorité musulmane de Birmanie, craignent davantage de représailles après une attaque contre des postes de police proches de la frontière du Bangladesh au cours du week-end. Les violences ont fait une trentaine de morts en trois jours.

Selon la police, un groupe de plus de 200 hommes non identifiés s’est attaqué à trois postes de surveillance de la frontière près de Maungdaw, une commune de l’Etat de l’Arakan, dans l’ouest birman, passé minuit dans la nuit du samedi 8 au dimanche 9 octobre. Ils ont tué neuf policiers et récupéré 62 armes et 10 130 balles, a précisé dimanche le chef de la police birmane, Zaw Win, qui a évoqué une « attaque terroriste » par des individus armés de machettes, de lances et d’autres armes artisanales et criant « Rohingya ! Rohingya ! ». La police a dit avoir tué huit de ces assaillants.

Leurs motivations restent incertaines. Une vidéo dans laquelle des hommes armés appellent dans leur langue les Rohingya au djihad a été postée sur Internet après l’attaque du week-end. La Birmanie est en proie à de nombreuses insurrections armées de groupes ethniques, mais la seule associée à cette minorité musulmane réprimée, l’Organisation de la solidarité rohingya, active dans les années 1990, est considérée depuis comme éteinte.

Le gouvernement birman refuse l’emploi du nom de « Rohingya » pour cette population dont le nombre est estimé entre 800 000 et 1,3 million sur son territoire, lui préférant l’appellation de « Bengalis », et il les considère comme des apatrides. Les Rohingya n’ont pas le droit de vote et sont victimes de ségrégation de la part de la majorité bouddhiste.

« Grave erreur »

Aung San Suu Kyi, devenue ministre des affaires étrangères et conseillère d’Etat et qui, dans les faits, dirige le gouvernement birman, est critiquée à l’international pour son silence sur le sort des Rohingya. Elle doit composer avec une opinion ne souhaitant leur céder aucun droit. En août, elle a chargé Kofi Annan de réfléchir à une solution. L’ancien secrétaire général des Nations unies avait été reçu, début septembre, par une foule de manifestants dès sa sortie d’avion sur le principal aéroport de l’Etat de l’Arakan.

Les Rohingya craignent que cette attaque signe le retour d’événements semblables à ceux subis en 2012, lorsque le viol d’une femme appartenant à la majorité bouddhiste avait marqué le début de pogroms contre les Rohingya, dont plus de 200 avaient été tués. Plus de 140 000 personnes avaient dû fuir leurs villages et beaucoup restent encore aujourd’hui dans des camps de déplacés.

Les forces de l’ordre birmanes sont lancées depuis dimanche dans une traque visant les assaillants. Les écoles ont été fermées. Un couvre-feu déjà en place à 23 heures depuis 2012 a été avancé à 19 heures. La police a expliqué avoir tué quatre des individus recherchés lundi dans le village de Myothagyi, mais selon des sources locales, ce sont sept ou huit Rohingya qui ont été tués, parce qu’ils cherchaient à s’enfuir par crainte des soldats, non parce qu’ils étaient suspects.

Les forces de l’ordre birmanes sont lancées depuis dimanche dans une traque visant les assaillants

Rahim, un militant pour les droits des Rohingya joint par téléphone à Maungdaw, ne cache pas son inquiétude : « Il y a bien eu une attaque dimanche, mais si, en retour, la police tue des innocents, c’est une grave erreur. Les gens ont peur, ils ne savent pas s’ils doivent se terrer chez eux ou au contraire fuir leurs maisons et se cacher. »

Quatre soldats et un autre individu ont ensuite été tués mardi lorsque, selon le récit officiel, des centaines d’hommes armés s’en sont pris aux troupes à Pyaungpit, un autre village de la région. L’armée dit avoir par ailleurs découvert sept corps à l’issue d’autres combats.

Matthew Smith, fondateur de l’organisation Fortify Rights sur les droits de l’homme en Asie du Sud-Est, explique avoir eu la preuve de plusieurs exécutions extrajudiciaires par l’armée birmane. « Les versions diffèrent grandement entre l’armée, qui dit ne faire que répliquer face à des attaques, et les gens sur place qui nous racontent que des individus sont appréhendés et tués », constate M. Smith.