Ours brun qui pêche le saumon. | Gleb Tarro Shutterstock/MNHN

Savez-vous que les ours passent de quelques centaines de grammes à la naissance à 600 kilogrammes pour les plus lourds à l’âge adulte ? Qu’ils se sont aventurés au sud de l’équateur ? Que sous leur air balourd, ils grimpent très bien aux arbres et sont d’excellents nageurs ? Bien loin des simples peluches ou des contes et légendes, la famille des ursidés est des plus riches et variées dont de nombreux aspects restent méconnus. Pour faire connaître leurs modes de vie et leur histoire, le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris met le plantigrade à l’honneur, dans l’exposition « Espèces d’ours ! », ouverte au public du mercredi 12 octobre, jusqu’au 19 juin.

« Nous souhaitons montrer la diversité des ours au grand public, leurs évolutions passées complexes, les enjeux actuels de conservation et les menaces qui pèsent sur eux », explique Géraldine Véron, professeure de mammalogie au MNHN et l’une des deux commissaires scientifiques de l’exposition.

Vingt-cinq ours naturalisés

Adaptée de l’exposition « Ours, mythes et réalités », qui s’était tenue au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse en 2013, la grande sœur parisienne s’organise autour de vingt-cinq ours naturalisés – et non plus empaillés, car les animaux sont dorénavant conservés avec des matières synthétiques – et d’une centaine d’objets, allant des squelettes, aux colliers en griffes en passant par des costumes et des enluminures. Le tout agrémenté de vidéos, de cartes et de jeux interactifs.

Un bébé ours à lunettes dans un zoo à Francfort, en 2014. | BORIS ROESSLER/AFP

Au-delà des ours bruns (Ursus arctos) et blancs (Ursus maritimus) bien connus, la famille des ursidés compte en réalité huit espèces réparties sur trois continents, essentiellement dans l’hémisphère nord : le grand panda, l’ours à collier, l’ours malais et l’ours lippu évoluent en Chine, en Inde et en Asie du sud-est, tandis que l’ours noir colonise les Etats-Unis et le Canada et que l’ours à lunettes vit en Amérique du sud. Des mammifères aussi bien présents sur la banquise arctique que dans les forêts tropicales ou les montagnes de la cordillère des Andes.

« Les ours ont des points communs, qu’il s’agisse de leur corps trapu, de leurs griffes ou de leur plantigradie, c’est-à-dire qu’ils posent toute la surface de leur patte sur le sol, poursuit Géraldine Véron. Mais très vite, on découvre de nombreuses spécificités. » Si l’ours polaire se nourrit de phoques, les pandas et les ours lippu suivent de leur côté un régime exclusivement végétarien à base de bambou pour le premier et de termites et de fourmis pour le second – qu’il aspire avec ses longues lèvres. Alors que l’ours malais mesure entre 1 mètre et 1,50 mètre et pèse de 30 kg à 80 kg, l’ours blanc, lui, peut atteindre 1,80 m à 2,80 m et pas moins de 150 kg à 650 kg.

Hibernation et nidation différée

Reste en commun certaines particularités, comme la reproduction : après une nidation différée, puis deux mois seulement de gestation, l’ourson voit le jour minuscule, nu et aveugle. « Les petits naissent au cœur de l’hiver, alors que l’ourse n’a pas mangé ni bu depuis trois mois et avant encore trois mois de jeûne », indique la spécialiste. Le bébé gagnera ensuite mille fois son poids, grâce à un lait maternel très nourrissant.

L’hibernation est un autre aspect de sa physiologie unique, qui recèle encore une part de mystère pour les scientifiques. « L’ours fait partie des rares animaux qui ne perdent pas de masse musculaire lorsqu’ils hibernent. Pendant sept mois, durant lesquels sa température passe de 38 °C à 32 °C, il n’urine ni ne défèque, et puise dans ses réserves de graisse mais pas de muscles, détaille Yvon Le Maho, écophysiologiste (CNRS/université de Strasbourg) et également commissaire scientifique de l’exposition. On ne connaît pas encore précisément le mécanisme biologique à l’œuvre, mais les applications pour les humains seraient nombreuses : limiter la perte de muscles lors des immobilisations, des hospitalisations ou des vols spatiaux. »

Des ossements de trente-cinq millions d’années

Loin de se cantonner aux modes de vie et aux comportements des animaux, l’exposition remonte également aux origines de l’ours. « Les plus vieux ossements, découverts en Asie, datent de trente-cinq millions d’années », explique la muséographe Cécile Massot, en montrant l’arbre phylogénétique de la famille des ursidés qui décrit les relations de parenté entre les différentes espèces. A cette époque, l’ours a plutôt l’aspect d’un renard, une dizaine de kilogrammes « tout mouillé ».

Un de ces ancêtres a aujourd’hui disparu : l’ours des cavernes, qui a vécu en Europe entre − 150 000 ans et − 28 000 ans. Contrairement à son image populaire, due à sa taille imposante (il pouvait mesurer trois mètres debout), il n’était pas un grand fauve sanguinaire mais un plantigrade végétarien, qui n’aurait pas survécu au réchauffement des derniers millénaires.

Les autres espèces parviennent à s’adapter et finissent par côtoyer les humains. Une histoire tumultueuse durant laquelle l’ours se verra vénéré – considéré comme un dieu dans certaines cultures –, avant d’être diabolisé, dompté et massivement chassé. La lutte est orchestrée par l’Eglise catholique qui cherche à bannir les rites païens. L’ancien roi des animaux incarne alors les péchés capitaux, la colère, la luxure, la paresse et la gourmandise. Naissent des expressions péjoratives, telles qu’« un ours mal léché » ou « vivre comme un ours ».

Costume de diablada lors de fêtes de l’ours en Bolivie. | Cécile Massot/MNHN

En parallèle, les rites et légendes perdurent autour de l’animal. Il donne lieu à des déguisements, des personnages de contes ou inspire les noms de villes (Berlin, Bern, Madrid) et les prénoms (Bernard, Ursule, Arthur). « L’ours a toujours été vu comme un double de l’homme, un ancêtre ou un cousin, en raison de sa ressemblance physique, notamment lorsqu’il se dresse et marche sur deux pattes », explique Didier Julien-Laferrière, co-concepteur de l’exposition.

Lire l’entretien avec l’historien Michel Pastoureau : « Aucun autre animal ne déchaîne autant les passions que l’ours »

Teddy bear

A la fin du XIXe siècle, la société prend conscience qu’elle est allée trop loin dans la déforestation et la chasse de certains animaux sauvages. Surtout, en 1902, naît l’ours en peluche : il apparaît simultanément aux Etats-Unis – où il est baptisé « Teddy Bear », en hommage au président Theodore Roosevelt qui a épargné un ourson lors d’une chasse – et en Europe, où le succès du jouet est considérable. Doudou réconfortant, l’ours devient également l’emblème d’une nature en péril, qu’il faut à tout prix sauver.

Aujourd’hui, six des huit espèces sont classées sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Parmi les principaux dangers qui pèsent sur le plantigrade : la destruction de l’habitat, sous l’effet de la déforestation, de l’urbanisation ou du changement climatique, mais aussi la chasse et le braconnage, qui donnent lieu à un trafic de griffes, de pattes et de bile, essentiellement à destination de la Chine.

En France, la population ursine est menacée d’extinction dans le massif pyrénéen, qui compte une trentaine d’individus suite aux réintroductions d’ours slovènes entre 1996 et 2006. « Il est très clair que sans réintroduction supplémentaire, la population d’ours est trop faible pour perdurer, assure Géraldine Véron, rappelant l’histoire de l’ourse Cannelle, tuée par un chasseur et naturalisée. A priori, les habitats sont favorables à l’existence d’une population ursine, mais maintenant, c’est une décision politique. »

Ourse Canelle naturalisée | Christian Nitart/Muséum de Toulouse