Gérard Davet et Fabrice Lhomme publient, mercredi 12 octobre, Un président ne devrait pas dire ça… (Stock, 672 p., 24,90 euros). Les deux journalistes au Monde ont réalisé soixante entretiens avec le chef d’Etat français, du 3 avril 2012 – avant son élection – au 25 juillet 2016. Chaque rencontre s’est déroulée selon un protocole strict, avec des conditions acceptées dès le départ par François Hollande. Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont répondu aux questions des internautes sur les coulisses de la réalisation de leur livre et sur la personnalité du président de la République.

Nicow : Comment avez-vous fait pour convaincre tout au long de ces quatre années François Hollande de s’exprimer librement sans aucun communicant à ses côtés, alors qu’au fil du quinquennat la communication de l’Elysée a semblé évoluer vers un contrôle plus strict ?

Gérard Davet et Fabrice Lhomme : Curieusement, cela n’a pas été compliqué de convaincre François Hollande, qui apprécie le monde journalistique, et connaissait notre travail d’enquête sur le quinquennat Sarkozy. Il a accepté le principe rapidement, et il était clair pour nous, et donc pour lui, qu’il ne pouvait pas y avoir de conseillers à nos côtés, ni de relecture a posteriori. Il a donc répondu en pleine connaissance de cause. Et c’est vrai que le travail de sape des communicants de l’Elysée, prompts à entourer le président, nous a été épargné. La politique sans filtre, c’est toujours mieux…

Hugo Couturier : François Hollande a-t-il relu le livre avant sa publication ?

Non. François Hollande n’a eu aucun droit de regard sur ce livre, c’était la condition sine qua non à notre projet : pas de relecture donc, mais aussi des entretiens toujours en tête-à-tête, sans conseillers ni attachés de presse, le tout étant enregistré afin de couper court à toute contestation éventuelle.

Jeune Turc : Soixante entretiens en quatre ans, n’est-ce pas un nombre énorme du point de vue de l’agenda et des responsabilités d’un président de la République ?

C’est à peine un entretien par mois. Ce n’est pas excessif. D’autres présidents ont pratiqué ainsi. Ces rencontres se déroulaient hors agenda officiel et n’ont jamais empiété sur ses journées de travail : le vendredi soir, ou lors de dîners.

Laocoon : François Hollande se présentera-t-il malgré sa promesse de ne le faire que sous condition « d’inversion de la courbe du chômage » ? Est-il prêt à se renier ?

Aujourd’hui, il ne paraît pas que sa décision soit prise. Il refuse d’être humilié, nous dit-il, et saura s’effacer, promet-il aussi, si un autre candidat de gauche s’impose. Sa gauche. Mais il ne liera pas cela à sa promesse d’inverser la courbe du chômage, puisqu’il estime que la courbe s’est inversée. De fait, selon le taux Insee, le chômage est passé de 10,5 %, en 2014, à 9,9 %, en 2016.

Nathan lhomme : A quoi sert ce livre si ce n’est à faire la promotion de François Hollande ? Contrairement à « Sarkozy m’a tuer », on sent que celui-ci ne contient pas de telles charges contre Hollande…

Cet ouvrage n’est en rien une défense (pas plus qu’une attaque) du quinquennat Hollande. Il s’agissait simplement de faire un travail purement journalistique, d’éclairer les dessous des grandes décisions prises par Hollande, d’éclairer la face cachée du pouvoir… Du reste, un certain nombre de passages du livre rendus publics par la presse, notamment par nos confrères du Parisien mercredi 12 octobre, ne sont pas du tout accueillis comme favorables au président. C’est même tout le contraire semble-t-il ! Mais je crois que pour se faire une idée objective de ce livre, il faut d’abord le lire.

So tired : Pensez-vous que votre ouvrage va aider ou desservir François Hollande dans sa campagne ?

Il faudrait être dans les méandres du cerveau et des pensées intimes, ô combien complexes, de Hollande pour répondre précisément. A l’évidence, on peut assurer, sans trop s’avancer, que le chef de l’Etat espère que cet ouvrage lui permettra de redorer une image profondément atteinte. Il n’est pas certain du tout que le contenu du livre, dont il ignorait tout jusqu’à aujourd’hui, puisse le satisfaire. Mais encore une fois, c’est très important à nos yeux : l’objet de ce livre n’est pas de servir ni de desservir le président de la République, mais de décrypter le plus honnêtement possible les ressorts de son action.

Vindi : Pensez-vous que Hollande croit réellement bien agir ou s’est-il remis en question au vu du mécontentement globale des Français ? Est-il naïf ou malhonnête en imaginant la possibilité d’une seconde campagne présidentielle ?

Nous pensons qu’il estime que son action à la tête de la France a été très positive et que l’Histoire lui rendra justice. Il n’est pas homme à se remettre fondamentalement en question, mais il n’est pas seul dans ce cas : n’est-ce pas ce qui définit un homme politique français ?

GT : Dans les extraits du livre, il me semble qu’il en ressort une certaine estime que vous porteriez à François Hollande. Me trompe-je ?

Alors il faut que vous lisiez le livre. En réalité, on explique dans cet ouvrage que l’homme François Hollande est estimable, il a de réelles qualités humaines. Il a su, avec nous en tout cas, faire preuve d’une certaine transparence, a tenu sa parole de nous accorder au minimum un entretien par mois, etc.

Sur l’aspect purement politique, c’est très différent, nous ne sommes pas là pour juger son action, nous sommes même parfois très sévères avec lui… Bref, c’est à vous, citoyens, et éventuellement lecteurs, de vous forger une opinion. Notre rôle à nous étant de vous donner toutes les clés pour le faire.

Avouslire : Avez-vous senti un isolement, une sorte de déconnexion avec le réel, du président de la République à mesure que sa cote de popularité s’effondrait ? Et l’avez-vous senti sensible à ce manque de confiance ?

L’Elysée est un palais qui isole. Hollande le savait, mais il est tombé dans le piège… Trop de conseillers « techno », pas assez de purs « politiques » en liaison directe avec le pays. On peut être énarque et comprendre les besoins de la population, mais force est de reconnaître que durant ce quinquennat, Hollande a paru lointain, sans réel affect, comme déconnecté. Il y a une part de responsabilité de son entourage, il en est aussi comptable… Sa cote de popularité l’accable, mais il a très vite su que cela se passerait ainsi. Il est lucide, sur cet aspect-là au moins…

Ouss : Pensez-vous que François Hollande va bien prendre le titre du livre [« Un président ne devrait pas dire ça… »] que vous publiez ?

Il n’a pas compris le titre dans un premier temps. Puis on lui a expliqué. Il pensait que cela signifiait qu’il avait été trop loin dans ses propos, libre à chacun de savoir si c’est à juste titre ou pas. Surtout, il y a un double sens : nous estimons que ce titre reflète aussi ce carcan que s’impose Hollande, cette façon qu’il a de refréner des élans, de ne pas dire ce qu’il ressent vraiment… Au moins, maintenant, on sait !

CB : Pourquoi avoir fait le choix d’une telle démarche journalistique envers Hollande et non pas envers Nicolas Sarkozy dans « Sarko m’a tuer » ?

Tout simplement parce que Hollande est président et que ce qui nous intéressait c’était de décrire les dessous du pouvoir ! Si Sarkozy avait été réélu en 2012, on aurait adoré faire le même travail avec lui. Encore aurait-il fallu qu’il accepte de nous rencontrer, et ça, ce n’est pas l’hypothèse la plus probable ! Peut-être en 2017.

Jack : Je n’ai pas compris la justification de Hollande sur la déchéance de nationalité…

François Hollande s’est clairement piégé lui-même avec la déchéance de nationalité, un bug qu’il faut attribuer à l’attentat du Bataclan, en partie, qui l’a profondément heurté, remué. Il nous a dit ensuite qu’il pensait que la France était sur le point de basculer, et qu’il devait donner des gages à la droite.

Fred Hamster : Jérôme Cahuzac et Emmanuel Macron ont tous les deux causė un préjudice considérable à François Hollande. L’un en salissant la promesse de probité de l’exécutif, l’autre la confiance du président. Cela traduit-il un manque de discernement ou une confiance excessive ?

Oui, un manque évident de discernement. Il n’a personne autour de lui pour l’avertir de profils suspects de futurs ministres, ou pour anticiper d’éventuels problèmes judiciaires. Il refuse d’intervenir dans des affaires judiciaires, ce qui, conjugué à une confiance excessive qu’il veut accorder aux autres, débouche immanquablement sur des problèmes.

Chris : Quelle est votre vision des actions entreprises par Hollande à l’étranger ? Son quinquennat semble plus s’être déroulé sur la scène internationale que nationale…

Incontestablement, c’est sur la scène internationale que François Hollande s’est le plus épanoui, alors qu’on ne l’attendait pas forcément sur ce terrain. Il s’est investi sur des dossiers extrêmement sensibles (Syrie, Mali, Ukraine…) au cours desquels son amour du compromis, si peu efficace au plan national, lui a permis d’engranger de précieux succès.

Tibo : François Hollande exprime-t-il un quelconque regret concernant sa politique économique ?

Il n’exprime aucun regret sur ses choix économiques. Il est doté d’une grande confiance en lui, et c’est une litote. Il regrette simplement la mise en œuvre de la loi travail, la façon dont elle a été présentée, et d’avoir eu la main trop lourde sur les impôts, au tout début du quinquennat. Mais il assume sa politique de l’offre, et jure l’avoir toujours promue, cette politique qu’il estime de gauche.

CS : Vous semblez affirmer que Ségolène Royal tient de nouveau une place importante pour François Hollande. Quel est réellement son rôle et leur relation ?

En effet, Ségolène Royal conserve une place très importante dans le dispositif « mental » du chef de l’Etat. Il a conservé des relations privilégiées avec son ancienne compagne, dont il admire notamment la grande capacité de résilience et l’audace. Mais il ne faut pas exagérer son influence sur le plan politique.