Les travaux d’une sociologue qui a enquêté pendant deux ans montrent que les gestatrices rencontrées ne sont « ni parmi les moins lettrées ni parmi les plus pauvres » | SAJJAD HUSSAIN / AFP

Parce qu’elle propose les tarifs les plus bas, l’Inde a longtemps été l’une des principales destinations au monde pour les couples en mal d’enfant désireux d’avoir recours à une gestation pour autrui (GPA), qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels infertiles. Plus de 25 000 enfants auraient été conçus par GPA dans ce pays, dont la moitié pour des parents étrangers. Ces naissances sont l’objet de nombreux fantasmes. Pour les opposants à la GPA, les aspects les plus condamnables de cette technique sont réunis en Inde : des parents riches exploitent le corps de femmes démunies, coupées de leurs familles pendant la grossesse, auxquelles les bébés sont arrachés…

La réalité est plus « complexe et ambiguë », selon la sociologue Virginie Rozée, qui a enquêté deux ans sur place. Ses travaux sont présentés dans Population et Sociétés, un bulletin d’information de l’Institut national d’études démographiques (INED), publié mercredi 12 octobre. Partant du constat que, malgré la véhémence des débats autour de la GPA, les « données empiriques » manquaient, notamment sur la situation indienne, elle a rencontré 32 experts (médecins, avocats, responsables politiques…), huit parents et 33 gestatrices dans trois lieux, en 2013 et 2014. Elle a également utilisé toutes les recherches déjà menées sur le sujet.

Les conditions étaient difficiles. « Ma recherche est intervenue au moment où une volonté politique de restreindre l’accès à la GPA est apparue, explique la chercheuse. Les cliniques étaient très méfiantes. » La GPA a été fermée aux couples homosexuels en 2013, puis aux étrangers, qui ne peuvent plus obtenir de visa de sortie pour les enfants. Elle est désormais réservée aux couples indiens mariés infertiles. Les parents se tournent vers d’autres destinations, comme le Cambodge ou le Kenya.

Motivation financière

Son travail va à l’encontre d’une idée reçue : les gestatrices rencontrées ne sont « ni parmi les moins lettrées ni parmi les plus pauvres » des Indiennes. Très peu sont analphabètes. La moitié d’entre elles percevaient un revenu mensuel d’au moins 10 000 roupies (environ 135 euros), sachant que 75 % de la population indienne avait un revenu inférieur à ce seuil en 2011-2012. « Les médecins ne souhaitent pas recruter les femmes les plus pauvres, à la fois pour des raisons de santé et d’hygiène et pour satisfaire les futurs parents, explique Virginie Rozée. Par ailleurs, les femmes qui sont au courant de cette pratique et osent se rendre sur les lieux, informées par le bouche-à-oreille ou les médias, ne sont pas celles qui dorment dans la rue. »

Leur motivation est financière : elles touchent entre 2 800 et 7 000 euros, soit l’équivalent de plusieurs années de salaire. Elles espèrent que cette somme changera leur vie et surtout celle de leurs enfants. « La gestation pour autrui apparaît comme une “stratégie maternelle”, explique l’article. Qu’il s’agisse de donner accès à une école privée ou de payer la dot de leurs filles pour leur permettre de se marier. » L’argent peut également servir à payer les dettes de la famille, à acheter un rickshaw (trois-roues à moteur) ou un logement. Elles ont également le sentiment de faire une « bonne action » pour les futurs parents, ce qui est valorisé dans l’hindouisme.

Une forte réprobation sociale pèse sur la GPA en Inde : elle y est associée à des relations sexuelles adultères, car les techniques de procréation médicalement assistée sont mal connues. Contrairement aux parents étrangers, qui affirment vouloir informer les enfants de leur mode de conception, les parents indiens y recourent dans le plus grand secret. Face à cette stigmatisation, les gestatrices se décrivent comme « des femmes instruites, aptes à comprendre une pratique médicale complexe ». Pour échapper à l’incompréhension, les mères porteuses préfèrent être éloignées de leur domicile pendant la grossesse.

Rêve d’un avenir meilleur

La gestation est « une expérience relativement positive », écrit l’auteure. Pour la première fois de leur vie, ces femmes échappent à des conditions d’emploi difficiles, à des tâches ménagères pénibles, au harcèlement sexuel dans les transports et sont l’objet d’attention de la part du personnel médical. La GPA fait l’objet d’un contrat en anglais, qu’elles ne sont en général même en pas en mesure de lire. Mais les mères porteuses ne semblent pas ressentir l’organisation médicale comme une domination.

« Cette absence de revendication doit être replacée au regard de la situation générale des femmes en Inde, soumises à l’autorité de leurs père, mari et beaux-parents, avec un pouvoir de décision et une liberté de mouvement limitée », nuance la chercheuse.

Malgré ces aspects plutôt positifs, ces femmes doivent faire face à de nombreuses appréhensions et difficultés : lourdeur des traitements, crainte de la césarienne, regret de ne pouvoir voir l’enfant à la naissance. « Il n’y a pas d’attachement, elles ne veulent pas de l’enfant, écrit Virginie Rozée. Mais elles veulent savoir s’il va bien et voir à quoi il ressemble. » Elles se refusent à voir leur propre fille devenir mère porteuse à son tour. « Cette question a suscité de fortes émotions chez ces femmes qui voyaient [dans cette possibilité] l’échec de leur propre GPA à changer la vie de leur famille », décrit la sociologue. La prochaine étape est, selon elle, de savoir si « leur rêve d’un avenir meilleur s’est concrétisé ».

Petit lexique des mères porteuses

  • Les parents d’intention sont le couple qui désire l’enfant et rémunère la mère porteuse. Il peut s’agir d’un couple hétérosexuel dont la femme n’est pas en mesure de porter un enfant (du fait d’une malformation de l’utérus par exemple), ou d’un couple d’hommes.
  • L’embryon est conçu avec les gamètes du père d’intention (ou de l’un des pères dans le cas des couples d’hommes), qui est donc aussi le père biologique. Dans les couples hétérosexuels, la mère peut également fournir les ovocytes, si elle en produit suffisamment de bonne qualité. Dans le cas contraire (si elle est trop âgée par exemple), le couple fait appel à une donneuse d’ovocytes.
  • La gestatrice porte l’embryon obtenu par fécondation in vitro. Ce n’est pas elle qui a donné les ovocytes : elle n’est pas la mère génétique de l’enfant qu’elle met au monde.