Le 4 octobre, Varsovie a annulé l’accord pour une commande de cinquante appareils Caracal d’Airbus Helicopters. | IROZ GAIZKA / AFP

Une décision « inacceptable ». En annulant l’accord pour une commande de cinquante hélicoptères Caracal d’Airbus, le 4 octobre, Varsovie a déclenché l’ire de Paris et de son ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Loin de s’en formaliser, le gouvernement polonais a annoncé, dans la foulée, l’achat d’au moins 21 hélicoptères américains.

Pour Cyrille Bret, maître de conférences à Sciences Po et cofondateur du site EurAsia Prospectives, cette décision reflète la défiance de Varsovie à l’égard de la France, mais aussi sa volonté de reprendre le flambeau de l’euroscepticisme après le Brexit.

Quelle lecture faites-vous de la volte-face de la Pologne vis-à-vis de la France ?

Cyrille Bret : Cette décision reflète d’abord la défiance de la Pologne, gouvernée depuis octobre 2015 par le Parti Droit et Justice (PiS) nationaliste et conservateur, à l’égard du couple franco-allemand. Ce n’est pas le premier point de divergence : la construction du gazoduc Nord Stream II, l’accueil des réfugiés et leur répartition entre Etats-membres, ou encore les garanties apportées aux contre-pouvoirs en Pologne sont autant de sujets de tension.

Manuel Valls a déclaré que « les choix » polonais « nous préoccupent par rapport à la conception de la défense européenne », et François Hollande a mis en garde les pays européens achetant uniquement des armes américaines. Peut-on dire que Varsovie s’inscrit dans un ancrage encore plus « atlantiste » qu’européen ?

Traditionnellement attachée à l’OTAN, l’Alliance atlantique, Varsovie le fait au détriment de ses alliances internes à l’Union européenne (UE). En ce qui concerne sa stratégie nationale de sécurité, elle fait passer l’UE au second rang : la Pologne considère que l’OTAN et les Etats-Unis sont garants de sa sécurité.

Par ailleurs, elle est en train de renforcer sa défense. C’est le seul pays européen, et de loin, à faire un tel effort dans ce domaine.

En 2013, Varsovie s’est engagé dans un programme d’investissements militaires à hauteur de 35 milliards d’euros, dont 5 milliards pour l’achat de missiles antimissiles américains. Dans le même temps, la France et le Royaume-Uni, les deux principales forces européennes, coupent dans leurs dépenses militaires.

La Pologne est également en train de muscler sa doctrine de défense, en actualisant régulièrement son « livre blanc » ou National Security Strategy of the Republic of Poland, mais aussi ses effectifs. Le ministre de la défense Antoni Macierewicz a déposé au Parlement une loi créant une sorte de réserve nationale, à savoir des militaires formés au combat qui continuent une activité professionnelle en parallèle.

Ce faisant, la Pologne est petit à petit en train de devenir la puissance militaire de l’Europe orientale. Et le principal rempart aux initiatives russes.

Le rôle de la Pologne est-il en train d’évoluer au sein de l’Europe aujourd’hui ?

La Pologne est en pointe dans la défense de l’Ukraine depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, notamment en appuyant la politique de sanctions à l’égard de Moscou. Elle est également en train de développer son soutien militaire aux pays baltes face à la menace russe.

Par ailleurs, depuis la fin des années 2000, elle utilise le groupe de Visegrad (qui réunit la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie) comme relais de puissance, pour peser dans les débats internes de l’Union européenne et promouvoir sa vision dans certains dossiers, comme sur les migrants.

Après le Brexit, c’est une manière pour Varsovie de reprendre le flambeau de l’euroscepticisme et de l’anti-fédéralisme.