A Londres, le 4 octobre. | NIKLAS HALLE'N / AFP

Ne parlez pas à Jason Wouhra des opportunités qu’est censée lui apporter la chute de la livre sterling. Depuis le vote du Brexit, le patron d’East End Foods a vu ses marges bénéficiaires fondre. Cette grosse PME de 400 employés, basée à Birmingham, importe des produits agroalimentaires du monde entier et les revend aux milliers de petites épiceries du Royaume-Uni. « Avec la chute de la livre sterling de 20 %, les prix des produits que j’achète ont augmenté d’autant. Mais je ne peux pas transférer cette hausse sur mes clients, avec qui j’ai des contrats qui sont souvent annuels. » C’est donc son bénéfice qui en souffre.

L’entreprise familiale – une petite épicerie de quartier il y a quarante-cinq ans – dégage un chiffre d’affaires de 200 millions de livres (221 millions d’euros). Elle est solide. « Pour l’instant, on peut faire face, témoigne M. Wouhra. Mais je connais déjà deux petits importateurs d’agroalimentaire qui ont fait faillite. »

Certes, la chute de la livre n’est pas qu’une mauvaise nouvelle. East End Foods, qui transforme et emballe ses importations, réalise 20 % de son chiffre d’affaires en exportant le produit final, essentiellement vers des pays de l’Union européenne. Ses marchandises y sont soudain devenues plus compétitives. « Mais j’importe bien plus que je n’exporte, ça ne suffit pas à compenser. »

A l’image de cette entreprise des Midlands, l’économie britannique importe plus qu’elle n’exporte. Et enregistre un déficit commercial ininterrompu depuis 1998, actuellement de 2,6 % du PIB. A court terme, l’effet de la chute de la livre est donc majoritairement négatif.

« Changement bienvenu »

« Le coût des biens importés a augmenté et quelqu’un va devoir payer : soit les entreprises vont réduire leurs marges, soit les prix au niveau des consommateurs vont être majorés », commente Vicky Pryce, membre du conseil d’administration du Centre for Business and Economic Research, un cabinet d’études économiques. C’est également ce que dit la Banque d’Angleterre, qui prévoit une hausse de l’inflation de 0,6 % actuellement à plus de 2 % mi-2017. « Cela va réduire le pouvoir d’achat des ménages », explique Mme Pryce.

Les premiers effets commencent à se faire sentir : le prix de l’essence devrait augmenter de quatre à cinq pence par litre d’ici à la fin du mois, selon la Petrol Retailers Association. La Marmite, pâte à tartiner très salée que les Britanniques adorent, est en rupture de stock : l’enseigne de supermarchés Tesco et son fabricant Unilever se disputent pour savoir qui doit payer pour la soudaine dévaluation de la livre.

Certes, la chute de la monnaie britannique a aussi des effets positifs. Et présente même « de nombreux avantages », selon le ministre du Brexit, David Davis. Les exportateurs britanniques peinent depuis des années à gagner des parts de marché et ce gain soudain de compétitivité ne peut que leur être bénéfique. Le tourisme en profite également : en juillet, le nombre de visiteurs à Londres a connu une nette augmentation.

M. Davis a reçu un soutien inattendu et important en la personne de Mervyn King, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre (2003-2013). « La chute de la livre est un changement bienvenu. Je me rappelle qu’avant le référendum, quelqu’un a dit : le danger du Brexit est de se retrouver avec des taux d’intérêt plus élevés, des prix immobiliers plus bas et un taux de change plus bas. Je me suis dit : ce serait le rêve. Ça fait trois ans qu’on essaie d’obtenir ça. » Selon lui, la dévaluation de la monnaie permettrait de rééquilibrer l’économie britannique, aujourd’hui beaucoup trop dépendante de ses consommateurs, et qui ne produit et n’exporte pas assez.

M. King peut appuyer son diagnostic sur l’histoire britannique récente. Entre 2007 et 2009, la crise financière a provoqué une chute de 20 % de la livre sterling, qui a frôlé la parité avec l’euro. Conséquences ? Selon une note de recherche de la Banque d’Angleterre, le déficit commercial du Royaume-Uni a été réduit de moitié, passant de 3 % du PIB en 2007 à 1,6 % en 2011.

Mais le bilan est en demi-teinte, parce que les Britanniques ont aussi beaucoup souffert de l’inflation, qui a dépassé 5 % à deux reprises, tandis que leurs salaires stagnaient. Leur pouvoir d’achat a connu une baisse historique, qui s’est traduite par une longue stagnation économique jusqu’en 2013.

Par ailleurs, pour vraiment bénéficier d’une baisse de la livre sterling, encore faudrait-il avoir des marchés où écouler les produits. Or, le Brexit risque de faire sortir le Royaume-Uni du marché unique européen et de ses 500 millions de consommateurs. La dévaluation n’est sans doute pas la panacée dont rêvent les Brexiters.