Le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel (à gauche) et le procureur général Jean-Claude Marin, le 12 janvier 2015. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP

C’est ce qui s’appelle tout gâcher ! François Hollande qui n’a pas marqué un intérêt débordant pour la justice au cours de son quinquennat avait au moins été apprécié par les magistrats car, contrairement à son prédécesseur Nicolas Sarkozy, il n’aurait pas cherché à peser sur des procédures ni à critiquer des décisions judiciaires. Vendredi 7 octobre, le chef de l’Etat était même allé s’exprimer devant le congrès de l’Union syndicale des magistrats (USM), une première pour un président de la République. Les membres de ce syndicat apolitique qui réunit plus de 70 % des voix aux élections professionnelles étaient aux anges en l’entendant proclamer qu’« il n’y a pas d’Etat de droit si l’autorité judiciaire n’est pas respectée ».

Mais patatras, des propos rapportés dans le livre des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Un président ne devrait pas dire ça…, Stock, 672 p., 24,50 euros) dévoilent un François Hollande beaucoup moins respectueux. Parlant de la justice, il glisse : « Cette institution, qui est une institution de lâcheté… Parce que c’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique. »

« Des outrances renouvelées »

A peine révélées par les médias, ces formules ont provoqué un tollé dans les palais de justice. L’USM a fortement réagi en diffusant un communiqué dans lequel elle se dit « consternée par ce double discours », et demande que ces propos « soient infirmés ou retirés ».

Les deux plus hauts magistrats du pays, Bertrand Louvel et Jean-Claude Marin, premier président de la Cour de cassation et procureur général, ont obtenu d’être reçus par M. Hollande à l’Elysée dès mercredi soir. Jeudi matin, lors d’une audience solennelle prévue pour l’accueil de nouveaux magistrats, Bertrand Louvel a dénoncé « des outrances renouvelées à l’encontre du pouvoir judiciaire [qui] posent un problème institutionnel ». « Il n’est pas concevable de diffuser parmi les Français une vision aussi dégradante de leur justice », a renchéri le magistrat.

Bertrand Louvel avait tiré le signal d’alarme en janvier lors d’un discours dans lequel il s’inquiétait d’un Etat qui marginalise l’autorité judiciaire au gré des lois sur le renseignement ou l’état d’urgence. L’absence de critiques du gouvernement envers les magistrats et la loi de 2013 interdisant au garde des sceaux de donner aux parquets des instructions individuelles sur des dossiers en cours ne suffisaient pas à faire oublier la paupérisation d’une institution délaissée depuis plusieurs législatures.

Les efforts de recrutement de magistrats et les gains budgétaires n’auront pas suffi à rétablir un climat de confiance. Les petites phrases de M. Hollande ne pourront qu’aggraver les choses.