Le ministre-président de la Wallonie Paul Magnette avant la session plénière du parlement régional, vendredi 14 octobre à Namur (Belgique). | BRUNO FAHY / AFP

Le Parlement de la Wallonie a approuvé à une très large majorité, vendredi 14 octobre, une motion déposée par les deux partis de la majorité régionale (socialiste et centriste) prônant le rejet, par la Belgique, du projet d’accord commercial Union européenne-Canada (Ceta). Le texte adopté demande toutefois au gouvernement fédéral belge de renégocier cet accord - ou du moins sa « déclaration interprétative » - avant la signature définitive, prévue initialement pour le 27 octobre.

André Antoine, le président centriste de l’assemblée, détaille pour Le Monde, la position de la Wallonie, susceptible de mettre à mal tout le projet, dès l’instant où l’un des 28 États membres dirait ne pouvoir y souscrire.

Comment fait-il interpréter le vote ?

D’abord comme une victoire de la démocratie. Les traités sont généralement des enjeux pour les technocrates, les multinationales et les lobbies qui mènent des négociations dans la discrétion la plus totale. Puis, c’est aux parlementaires, privés de la capacité de négocier et de fixer des conditions, de voter le texte tel quel. Dans ce cas-ci, nous avons ouvert le capot du CETA, contrairement à d’autres - dont certains députés canadiens, j’ai pu m’en rendre compte.

Nous avons envoyé, dès le mois d’avril, un signal clair à nos amis Canadiens, Français et à la Commission européenne, en priant cette dernière de l’entendre. Nous avons ensuite étudié et réétudié les textes et, jeudi soir, nous avons découvert que la déclaration interprétative qui nous a été soumise par morceaux pouvait être contraignante, à condition toutefois d’être rédigée avec précision. Nous avons aussi découvert que nous pouvions encore ajouter des éléments de fond. Donc, à mes yeux, le débat sur le Ceta commence aujourd’hui.

Vous pensez réellement pouvoir infléchir ce traité ?

Oui. Nous sommes en quelque sorte des lanceurs d’alerte et j’espère vraiment que l’on nous entendra désormais. Des valeurs démocratiques sont en cause, et pas simplement des intérêts privés. Le Ceta est un traité d’une nouvelle génération, qui peut conditionner tous les traités futurs. Nous devons donc nous montrer inflexibles quant à certains principes. Nous ne pouvons, par exemple, accepter que des juges privés conditionnent le droit européen ou le droit national. Nous ne pouvons pas tolérer que, demain, nous puissions édicter des normes mais, pour cela, devoir procéder à des indemnisations. C’est heurtant pour la démocratie et pour les citoyens, qui élisent leurs représentants.

L’enjeu véritable est de savoir si la démocratie peut encore jouer son rôle face aux exigences de multinationales qui ont eu l’oreille de technocrates européens. On ne peut plus déterminer la destinée de nos sociétés sans entendre les représentants des citoyens, élus démocratiquement dans les parlements.

Vos amis du Parti populaire européen, comme les socialistes, admettent l’idée que ce traité est bon, peut-être même le meilleur jamais négocié…

Dès l’instant où il est d’un nouveau type, heureusement qu’il est meilleur que les précédents. Je le reconnais, nous avons parfois voté ceux-ci à l’aveugle, et je le regrette. Mais, désormais, il faut fixer des balises beaucoup plus nettes. Le principe de précaution, par exemple, qui est au cœur des traités européens, n’est pas suffisamment affirmé. Nous voulons, par ailleurs, que l’un continue à faire confiance aux juges nationaux pour trancher les litiges, sans donner l’impression à l’opinion qu’ils sont incompétents. L’exception agricole n’est, elle non plus, pas rencontrée et il est inacceptable que l’on obtienne la reconnaissance de quelques fromages en échange des importations de tonnes de viande produites dans des conditions sanitaires et de recherche de rentabilité incompatibles avec nos normes. Ce qui ne fera qu’aggraver les conditions, déjà difficiles, de nos agriculteurs.

Enfin, le rôle des services publics et des services sociaux doit beaucoup plus affirmé dans le texte.

Une élue de votre opposition libérale a évoqué le risque de voir la Wallonie devenir « la Cuba de l’Europe »…

Jolie formule mais même Cuba s’ouvre aujourd’hui, prouvant que la solitude n’est jamais définitive. Ce n’est pas parce que nous sommes seuls pour l’instant que nous ne pouvons pas partager nos convictions. D’ailleurs, nous avons entendu les réticences du chancelier autrichien ou de parlementaires néerlandais. Nous savons que, jusque dans les dernières heures, Roumains et Bulgares ont négocié ferme pour la question des visas qui leur étaient imposés. Nous avons aussi vu les Grecs batailler. La Wallonie ne doit pas avoir de complexes dès lors qu’elle a la force de justes convictions.

Le ministre-président de votre Région, Paul Magnette, devait discuter avec François Hollande après ce vote. Vous pensez que la France peut encore vous aider ?

Oui. Parce que s’ils manifestent, à juste titre, leur opposition au Traité avec les États-Unis, les Français doivent savoir que, par certains aspects, le CETA ressemble bel et bien au TTIP. Le président Hollande peut faire entendre une autre voix que celles des multinationales et de l’argent. Je me souviens d’ailleurs de sa promesse : « Je ne serai pas le président de l’argent ». Il a donc l’occasion unique d’être à nos côtés pour imposer ses valeurs.

Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants (Namur, envoyé spécial).