Manifestation d’agriculteurs à Hauconcourt (Moselle), le 28 juillet 2015. | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Des chiffres préoccupants. Alarmants même. Les données révélées en début de semaine par la Mutualité sociale agricole (MSA) mettent en lumière la situation de détresse du milieu agricole. Un tiers des agriculteurs a touché moins de 350 euros par mois en 2015. Les appels à l’aide vers la plate-forme Agri’écoute ont été multipliés par trois en un an, au premier semestre 2016. Et entre 2010 et 2011, près de 300 suicides d’agriculteurs ont été comptabilisés.

« La situation est grave » et devrait même empirer cette année, selon le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, jeudi 13 octobre. Les causes sont multiples : crise du prix du lait, grippe aviaire dans le Sud-Ouest, catastrophes climatiques… « Il y a toujours quelque chose qui ne va pas, c’est très compliqué à gérer », se désole Véronique Maeght-Lenormand, médecin et conseillère technique chargée des risques psychosociaux à la caisse centrale de la MSA.

Elle n’est d’ailleurs pas étonnée par ces chiffres. « Cela correspond à ce que nous voyons sur le terrain depuis plusieurs mois. Nous sommes confrontés à une très grande morosité ambiante », déplore-t-elle.

Le constat est le même chez Patrick Bougeard, président de l’association Solidarité paysans, qui accompagne, depuis 1992, les agriculteurs en grandes difficultés économiques. « J’ai l’impression que la MSA réinvente l’eau chaude. Cela fait des années que nous avons des informations sur la précarité des agriculteurs », affirme-t-il.

« La problématique du revenu est présente depuis 1997 »

Ainsi en 2003, déjà, 47 % des agriculteurs avaient un revenu inférieur au smic, et près de 21 % vivaient sous le seuil de pauvreté. « La problématique du revenu est présente depuis 1997 et ça ne fait qu’empirer, selon M. Bougeard. Cela fait longtemps que les paysans ne peuvent plus vivre de leur métier. On est dans des problèmes structurels, et les événements conjoncturels comme la crise du lait ou la grippe aviaire viennent amplifier le phénomène. »

Pour éviter l’isolement et la disparition, dans le silence, des exploitations et des agriculteurs, des initiatives ont été prises. La MSA a par exemple mis en place, en 2011, un plan national d’actions contre le suicide. Le dispositif Agri’écoute a été lancé en 2014 avec l’aide d’associations partenaires, telles que SOS Amitié ou SOS Suicide Phénix. En parallèle, des cellules de prévention ont été créées sur l’ensemble du territoire pour détecter les agriculteurs en grande détresse sociale.

Lorsqu’ils sont repérés, ils peuvent recevoir l’aide d’un psychologue, d’un médecin du travail ou même de banquiers pour tenter de régler leurs problèmes. Des rencontres entre agriculteurs d’un même territoire sont également proposées pour mettre un terme à l’isolement.

« Ce sont souvent des hommes entre 45 et 55 ans qui nous appellent quand les problèmes physiques apparaissent, que la question de la succession commence à se poser et que les enfants sont partis de la maison, précise le docteur Véronique Maeght-Lenormand, de la MSA. Ils passent alors par plusieurs phases : la colère, la résignation, la dépression. »

« Un métier que tout le monde dénigre »

Manifestation d’éleveurs, place de la République, à Paris, le 5 novembre 2014. | THOMAS SAMSON / AFP

De son côté, l’association Solidarité paysans, dirigée par M. Bougeard, s’épanche davantage sur les difficultés économiques des agriculteurs. « Le postulat de départ est de les écouter sur leur vie, leur histoire, leurs projets. On met ensuite en évidence les points forts de l’exploitation qu’ils peuvent développer, détaille-t-il. Et on a souvent recours aux procédures collectives comme le redressement judiciaire. »

Mais la difficulté des agriculteurs est bien plus vaste que la seule question économique. Pression sociale, familiale, isolement… Les raisons de cette situation sont multiples. Et notamment quand l’agriculteur est à la tête d’une exploitation familiale. « Ils ne veulent pas être ceux qui liquident trois générations d’agriculteurs. Il faut donc un accompagnement global », poursuit M. Bougeard.

Même si la passion de faire un métier à part est toujours présente chez une majorité d’entre eux, la question de leur place et de leur image dans la société est également un facteur aggravant de ce malaise. « L’agriculteur est perçu comme un pollueur, déplore Véronique Maeght-Lenormand. Ce n’est pas facile quand vous faites un métier que tout le monde dénigre. Il faut redonner du sens à leur travail. »

« Près de 3 % des exploitations disparaissent chaque année et ça fait beaucoup moins de bruit que l’affaire Alstom, regrette M. Bougeard. Les paysans sont isolés. C’est un paysan qui passe à l’acte, un paysan qui arrête le métier… Mais ça ne fait pas une masse, ils ne sont donc pas assez entendus dans la société. »

Sur la crise du monde agricole, vous pouvez également visionner notre entretien avec François Purseigle, professeur des universités en sociologie à l’Institut national polytechnique de Toulouse-Ensat :

Comprendre la crise agricole, conversation avec François Purseigle
Durée : 09:43