A Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), les milliers de salariés des chantiers navals vont devoir prendre leur mal en patience. Le tribunal du district central de Séoul, en Corée du Sud, vient de reporter de près d’un mois la décision qu’il devait prendre pour régler le sort du dernier site français de construction navale et de son actionnaire majoritaire, le coréen STX.

Les juges de Séoul devaient rencontrer vendredi 14 octobre les créanciers de STX et choisir entre les différentes options possibles pour renflouer le conglomérat, en redressement judiciaire depuis septembre. Deux projets étaient sur la table : la vente séparée des différentes activités maritimes de STX, dont les chantiers français, ou leur cession en bloc. Avec des candidats différents dans les deux cas. Mais le tribunal a, au dernier moment, repoussé la réunion. Elle est désormais fixée au 11 novembre. Un symptôme des difficultés auxquelles se heurte la Corée pour redresser ses champions maritimes.

Car STX n’est pas le seul dossier critique. A Séoul, le même tribunal du district central tente de colmater les brèches chez Hanjin. La principale compagnie sud-coréenne de porte-conteneurs a déposé son bilan fin août, provoquant une incroyable pagaille. Des dizaines de navires ont été bloqués en mer ou dans des ports avec leur cargaison de produits pour les fêtes de fin d’année. C’est la plus grande faillite de l’histoire du transport maritime par conteneurs. Du jour au lendemain, la part de marché d’Hanjin a sombré, le groupe passant du septième au dix-septième rang mondial, selon Alphaliner. Pour préserver ce qui peut l’être, le tribunal a mis en vente l’activité commerciale d’Hanjin entre l’Asie et les Etats-Unis. Les offres de reprise sont attendues d’ici au 7 novembre. L’affaire pourrait intéresser des concurrents comme les européens Maersk et MSC.

Ralentissement des échanges mondiaux

Daewoo, un des plus grands chaebols, ces conglomérats qui dominent l’économie coréenne, est également dans la tempête. Ses dirigeants ont annoncé mercredi 12 octobre une sévère restructuration de leur filiale de construction navale. Au menu, la suppression de 3 000 postes, soit 24 % de l’effectif. Autres poids lourds de la construction navale, Hyundai et Samsung ont aussi lancé des plans pour réduire leurs capacités et comprimer les coûts.

« Après la guerre de Corée, en 1953, Séoul a favorisé quelques champions comme Samsung, qui ont tiré l’économie du pays, rappelle le consultant Ludovic Barou, de Jitex. Aujourd’hui, le miracle est fini. La croissance a fléchi, et la Corée fait face à une forte concurrence chinoise. »

Le secteur maritime, un point fort du pays depuis des décennies, est particulièrement touché. Toute cette industrie est en crise, en raison du ralentissement des échanges mondiaux et des surcapacités provoquées par l’arrivée de nouveaux navires. Les tarifs du transport ont tant plongé qu’aucun armateur ne gagne plus d’argent. Sans perspective de redressement rapide. « Les professionnels ont déjà ralenti la vitesse des navires, ils en ont immobilisé dans les ports et envoyé beaucoup à la casse, explique Pierre Cariou, spécialiste d’économie maritime et professeur à Kedge Business School. Réduire encore les capacités s’annonce ardu. »

Changement de politique

Jusqu’à présent, l’Etat coréen aidait le secteur, notamment grâce aux prêts massifs accordés par les banques publiques. Aucun groupe ne semblait donc en péril. En coupant les vivres à STX et à Hanjin, Séoul a brutalement changé de politique. « Le gouvernement ne soutiendra plus les entreprises en difficulté avec l’argent du contribuable au seul motif qu’elles seraient trop grandes [pour faire faillite] », a annoncé Yoo Il-ho, le ministre des finances. Un signal clair : c’est aux sociétés elles-mêmes de s’organiser pour tenir le choc. L’Etat est désormais prêt à lâcher les plus mal-en-point, même si leurs actifs doivent filer entre des mains étrangères.

Pour Saint-Nazaire, cette nouvelle donne est décisive. Pour redresser STX, l’hypothèse privilégiée consistait jusqu’à présent à vendre séparément la filiale française. Trois candidats s’étaient déjà manifestés : l’italien Fincantieri, le néerlandais Damen et le chinois Genting Hong Kong. Avec ses 33,34 % de STX France, l’Etat français espérait se retrouver en position d’arbitre, et favoriser Damen, le candidat considéré comme le meilleur pour éviter toute fuite d’activité ou de technologie. Le 4 octobre, l’irruption d’un quatrième candidat a tout changé. Une mystérieuse société étrangère serait prête à reprendre les chantiers tricolores, mais aussi ceux de Jinhae et Goseong, en Corée, a indiqué le tribunal. Si les créanciers et les juges avaient donné vendredi la priorité à une offre globale de ce type, Fincantieri et Damen risquaient de se retrouver sur la touche. Le report de la décision laisse le jeu ouvert.