A La Haye, à quelques centaines de mètres de la Cour pénale internationale, la salle du tribunal Monsanto, samedi 15 octobre. | Photo : R.Bx.

La présidente du Tribunal Monsanto, Françoise Tulkens, qui auditionne des témoins à La Haye samedi 15 et dimanche 16 octobre, espère contribuer à l’évolution du droit international par la prise en compte des questions nouvelles, parmi lesquelles notamment l’écocide. Juge pendant quatorze ans à la Cour européenne des droits de l’homme – elle en fut même la vice-présidente –, nommée en septembre 2012 au Panel consultatif des Nations unies sur les droits de l’homme au Kosovo, Françoise Tulkens explique le contexte juridique dans lequel intervient ce vrai-faux « procès » de Monsanto et quelles pourraient en être les conséquences.

Quel est l’objet de ce Tribunal Monsanto que vous avez accepté de présider ?

Nous allons entendre des témoins durant deux jours, prendre connaissance des très nombreuses pièces au dossier, des études scientifiques notamment et nous délibérerons entre nous, les cinq juges, pour rendre une « Advisory opinion », c’est-à-dire un « Avis consultatif ». Six questions nous sont posées relatives à des droits reconnus par le droit international, comme le droit à l’alimentation, le droit à un meilleur état de santé ou encore le droit à la liberté indispensable de la recherche scientifique.

Ils sont notamment inscrits dans le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels ainsi que dans la Convention relative aux droits de l’enfant ou encore la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. D’autres textes internationaux existent aussi, comme les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, tels qu’ils ont été approuvés par le Conseil des droits de l’homme dans une résolution en juin 2011.

Au Tribunal Monsanto, à La Haye samedi 15 octobre, la juge belge Françoise Tulkens, préside les travaux du tribunal. | Photo : R.Bx.

Cela veut-il dire que vous avez les outils juridiques pour condamner Monsanto ?

Nous n’allons pas prononcer de jugement. Nous allons rendre un avis consultatif. Plus précisément, nous allons vérifier si les activités de Monsanto sont en conformité avec les règles de droit telles qu’elles existent dans les instruments juridiques essentiellement onusiens que j’ai évoqués. Nous ne sommes donc pas un tribunal qui condamne au pénal, ni ne juge une faute au civil.

Monsanto, dans une lettre ouverte, a dénoncé une « mascarade », dont « l’issue est connue d’avance ». Qu’en dites-vous ?

J’ai lu cette lettre ouverte et ce qu’elle suggère est inexact. Monsanto n’est pas condamnée d’avance puisque qu’elle ne sera pas condamnée du tout. Ce n’est pas le lieu. Il n’y aura même pas de condamnation morale car un tribunal ne fait pas de morale. C’est un tribunal pédagogique, dont j’espère qu’il aura une influence sur le droit international des droits de l’homme et permettra des ouvertures pour les victimes.

Je regrette simplement l’absence de Monsanto, même si son absence est à la fois parfaitement compréhensible et prévisible. Il est important de souligner que Monsanto a été invitée, à plusieurs reprises, à participer, et que toutes les facilités lui auraient été offertes de faire valoir son point de vue.

Mais, si Monsanto n’est pas vraiment jugé, quelle est la portée de ce tribunal ?

Le Tribunal est une manière pour la société civile qui en a pris l’initiative de donner la parole à des témoins, de faire comprendre au public les impacts des activités de Monsanto et d’aider à faire progresser le droit international en proposant de nouvelles idées, comme par exemple les responsabilités en matière de droits de l’homme des entreprises, ou de nouveaux concepts. C’est une pédagogie difficile mais essentielle.

Le Tribunal Russell [appelé aussi Tribunal international des crimes de guerre], constitué dans le contexte de la guerre du Vietnam en 1966, était aussi un tribunal d’opinion. C’est important de se rapporter à cette histoire-là. L’avis que nous rendrons en principe avant le 10 décembre, la Journée internationale des droits de l’homme, sera adressé à Monsanto et aux instances des Nations unies. A partir de cet avis, d’autres juridictions pourront peut-être être saisies et d’autres juges interviendront. Nous, nous aurons vu, entendu, constaté et délibéré. Et sans doute des nouvelles questions, comme celles qui concernent l’écocide, pourront être prises en compte par le droit international.

Qu’entendez-vous par « écocide » ?

Cette infraction n’existe pas encore et pour cela il faudrait d’abord la définir précisément. Le génocide est un crime contre l’humanité tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe de personnes en raison de leurs caractéristiques nationales, ethniques, raciales ou religieuses. L’écocide serait un « génocide » attaché à l’environnement, des atteintes à l’environnement qui altéreraient de façon grave et durable les écosystèmes dont dépend la vie des humains. La Cour pénale internationale, ici même à La Haye, vient de décider, le 15 septembre, d’inclure les préoccupations liées à l’environnement dans son champ d’investigation, cela évolue donc.

Les questions d’accès à l’eau, à une alimentation saine, sont des problèmes anciens. Ce ne sont pas des nouveautés qui trottent dans la tête d’activistes furibonds. Et ces problématiques, comme le droit à un environnement sain, risquent de devenir de plus en plus importantes avec le changement climatique. Il est de notre devoir de mettre des outils juridiques en place pour faire face à ces problèmes et le Tribunal Monsanto est une étape, un outil dans cette dynamique.