« Thumper combine de l’action rythmique classique avec une vitesse à couper le souffle et une physicallité brutale. Vous êtes un scarabée de l’espace hurlant en direction d’une tête de géant fou venu du futur. » | Capture d'écran

« Thumper combine de l’action rythmique classique avec une vitesse à couper le souffle et une physicalité brutale. Vous êtes un scarabée de l’espace hurlant en direction d’une tête de géant fou venu du futur. »

Quelque part dans la bibliothèque de Borgès, cette bibliothèque infinie qui contiendrait absolument toutes les combinaisons possibles de lettres du monde, et donc tous les livres potentiels, il y a un rayon, égaré parmi les quantités algorithmiques d’autres rayons, où une notice porterait cette inscription. Si cette graphie existait, les chances que quelqu’un la lise un jour seraient infinitésimales, car il faudrait une quantité infinie de temps et de moyens pour faire le tour de cette infinité de livres. Pourtant, par un hasard ou une absurdité qui confine au cosmique, il se trouve qu’elle existe, et qu’elle décrit même un jeu vidéo.

Thumper est sorti le 13 octobre, et fait d’ores et déjà figure de révélation surprise sur le casque de réalité virtuelle de Sony, le PlayStation VR, support sur lequel il fait déjà l’unanimité. Mais il existe également sur PC et PlayStation 4 standard, et à l’exception de l’affichage englobant, rien n’y change. La même description absurde et poétique y prévaut : il est une expérience qui fait du joueur « un scarabée de l’espace hurlant en direction d’une tête de géant fou venu du futur ».

Thumper - Rhythm Hell Trailer | PS VR
Durée : 01:29

Enchaînements stroboscopiques

Cette phrase lancinante, celle qui décrit l’expérience sur sa page YouTube, est bien la seule que vous lirez avant de vous y plonger : Thumper est une transe aphasique, viscérale, qui sitôt jeté sur les rails obsédants de ses rythmes tribaux, écarte toute littérature, toute narration, toute tentative de formuler une histoire, un récit, ne serait-ce qu’une trajectoire verbalisée.

A la place, un enchaînement stroboscopique de lignes et de percussions, une transe reptilienne et entêtante, succession d’entrechocs métalliques, de scansions sèches, de volutes de synthé, synchronisée avec une piste qui serpente, des virages qui battent la mesure, des obstacles qui dictent le tempo, et ce scarabée de l’espace qui n’existe que pour survivre, virer, se recroqueviller, et donner vie à cette partition.

Pris pour lui-même, le principe évoque un croisement entre deux sous-courants du jeu vidéo. D’un côté, Amplitude, le jeu de rythme de 2003 qui avait préparé la voie aux jeux musicaux Guitar Hero et Rock Band, dont Brian Gibson, l’auteur de la bande-son de Thumper, est un vétéran. De l’autre, les jeux de tir rétro-futuristes hallucinatoires de Jeff Minter (Tempest, Space Giraffe, Tkt…), dont l’œuvre au scarabée reprend – en plus épuré – l’esthétique psychédélique.

« Musique visuelle »

Le résultat, c’est un jeu où chaque circuit est une partition, chaque séquence un mouvement, chaque ondulation visuelle, l’expression d’un thème. L’image et le son dansent ensemble, et dans une expérience totale, qu’avait déjà esquissée Rez en 2001, le titre touche à ce moment de synesthésie fascinante où l’œil, l’oreille et le doigt ne sont plus trois organes différents mais trois rhizomes d’un même pouls obsédant. Semblable au film Mad Max Fury Road, avec qui il partage l’ambiance sonore obsédante et la rythmique guerrière, Thumper matérialise en jeu vidéo ce que Miller avait réalisé à travers le film : une « musique visuelle ».

Casque virtuel sur la tête, l’effet est encore plus saisissant, tout le hors-champ de l’écran disparaissant pour nous englober entièrement. Dès lors, on ne joue pas à Thumper : c’est lui qui nous prend, nous avale, nous soumet à sa folie rythmique rétinienne. Le joueur semble devenir l’excroissance du jeu et le jeu l’excroissance du joueur, dans une fusion qui hésite entre le délire cyberpunk et la danse initiatique ancestrale.

Les non-joueurs auront tout loisir de s’inquiéter de la toute puissance apparente du virtuel. Les navigateurs de cette transe cosmique toucheront eux à un de ces paradis artificiels qui se passent de toute substance, et laissent dans l’oreille interne l’impression déstabilisante d’avoir été comme pris, traversé et possédé. La sensation d’avoir été, quelques secondes ou quelques heures, autre chose que soi : un scarabée de l’espace hurlant en direction d’une tête de géant fou venu du futur.

En bref

On a aimé :

  • La puissance de l’expérience
  • La simplicité absolue des interactions
  • La difficulté très progressive
  • L’esthétique spatio-tribale envoûtante
  • La décharge d’endorphine

On n’a pas aimé :

  • Camping 3
  • Rater son rendez-vous chez le dentiste parce qu’on avait perdu la notion de l’heure

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous avez aimé la musique de Mad Max : Fury Road
  • Vous appréciez les œuvres psychédéliques de Jeff Minter
  • Vous possédez un grand écran et un bon système hi-fi…
  • … ou mieux, vous êtes équipé d’un casque de réalité virtuelle

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous êtes mauvais en répétitions de séquences rythmiques
  • Vous voulez entendre du Francis Cabrel et caresser des moutons
  • Vous êtes la tête de géant du futur et vous voulez porter plainte

La note de Pixels
Human Traffic/rite vaudou