Dans la compétition européenne pour drainer les emplois de la City post-Brexit, la région de Francfort est persuadée qu’elle est une des mieux placées. Bien avant le référendum britannique, elle avait d’ailleurs préparé minutieusement son lobbying, avant de l’intensifier ces derniers mois. A tel point que certains banquiers se sont montrés « impressionnés » par les présentations organisées récemment à Londres par l’agence de promotion de la ville allemande, rapportait récemment le Financial Times (FT).

Selon le quotidien britannique, les membres de la délégation de la région de Francfort sont allés jusqu’à évoquer un assouplissement du droit du travail allemand s’agissant des très hauts revenus, afin de faire tomber les craintes des établissements financiers de la City.

Le quotidien, qui s’appuie sur le témoignage de banquiers ayant assisté à des ­présentations, croit savoir que l’Al­lemagne réfléchit à l’idée d’in­troduire un plafond aux prestations sociales : au-delà d’un revenu ­annuel de 100 000 ou 150 000 euros, l’employeur ne serait plus tenu de respecter certaines dispositions du droit du travail, permettant, par exemple, de licencier plus facilement. Les ministères des finances et du travail allemands n’ont pas confirmé cette information.

Licenciements compliqués

Le droit du travail allemand est un des principaux freins à l’attractivité de Francfort auprès des banquiers londoniens. Les licenciements sont plus coûteux et compliqués qu’au Royaume-Uni, le droit du travail plus protecteur.

Cet élément pèse lourd dans la balance, les banques étant habituées à embaucher et licencier plus facilement que d’autres branches. Depuis le mois d’août, la fédération des banques privées (BdB) milite auprès du gouvernement pour des réformes fiscales et de régulation ambitieuses afin d’attirer les activités bancaires londoniennes, en abandonnant par exemple son soutien à l’idée d’une taxe sur les transactions financières.

Francfort profite de la stabilité économique et politique allemande et d’un marché immobilier favorable

Pour beaucoup d’analystes, Francfort dispose d’atouts déterminants pour devenir le principal centre financier européen. La ville est non seulement le siège de la Banque centrale européenne, mais elle abrite aussi l’autorité de contrôle des assurances ainsi qu’Eurex, une des bourses mondiales les plus importantes pour les échanges de produits financiers dérivés. La ville est par ailleurs le principal nœud ferroviaire allemand et détient un des plus grands aéroports du continent.

Une étude publiée début juillet par le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG), qui a interrogé 360 directeurs bancaires au Royaume Uni, en France, aux Etats-Unis et en Allemagne au sujet des possibles conséquences du Brexit, soulignait que Francfort profite aussi de la stabilité économique et politique allemande et d’un marché immobilier favorable, en tout cas en comparaison des prix londoniens.

Selon les données compilées par le FT, c’est également la ville européenne, en dehors de Londres, qui accueille le plus grand nombre de filiales de grands groupes bancaires : huit des dix plus grandes banques mondiales y disposent d’une représentation, soit davantage que Paris ou Dublin.

« C’est un avantage, car il y a des chances que les banques ne délocalisent qu’à la marge, en renforçant leurs sites existants. Elles ne vont pas annoncer qu’elles se retirent totalement de la City mais déplacer discrètement un département ou une équipe dans une autre ville », explique au Monde un analyste financier français basé à Londres.

Pour rassurer les banquiers, le comité de promotion de Francfort explique ainsi que la ville veut travailler « en partenariat » avec la City plutôt qu’en compétition, ce qui est particulièrement bien accueilli.

Rivalité difficile avec Paris

Reste que de nombreux banquiers sont très attachés à Londres. Ils craignent la barrière de la langue et voient Francfort comme une ville « ennuyeuse » et « provinciale », avec seulement 700 000 habitants. Cette image joue fortement en sa défaveur face à Paris ou Dublin, à en croire la presse anglo-saxonne.

L’agence de promotion de la région s’efforce donc de mettre en avant non pas la seule ville de Francfort, mais toute la région Rhin-Main, une « métropole de 5,5 millions d’habitants », où « 180 nations vivent en harmonie », avec ses restaurants et bars branchés et ses musées réputés Städel et Schirn Kunsthalle.

Difficile quand même de rivaliser avec Paris du point de vue du patrimoine architectural, culturel et de la vie nocturne. Alors le ­magazine édité par l’agence vante la qualité de vie, un élément régulièrement mentionné par les ­cadres internationaux en poste à Francfort, qui apprécient les ­courtes distances, la verdure et la proximité du Taunus, région de moyenne montagne particuliè­rement appréciée des habitants de Francfort le week-end. Pas certain que cela suffise à faire préférer aux jeunes banquiers le Main à la Tamise.