Lambert Wilson (debout) incarne le commandant Cousteau dans « L’Odyssée », de Jérôme Salle, premier biopin consacré au marin. | Coco Van Oppens

Andy Warhol fut le premier à le compren­dre : la pop culture se nourrit de contradictions, ­hissant au sommet du cool tout ce qui est vieux, ringard, inélégant. L’adage se vérifie à nouveau avec une étrange « hype » entourant une personnalité française que l’on croyait oubliée : Jacques-Yves ­Cousteau, océanographe mythique de la télévision de papa, décédé en 1997.

Au cinéma, à la télévision, sur Internet ou dans la mode, le marin à bonnet rouge est devenu une figure mythique des années 2000, qui lui rendent un hommage à la fois ironique et sincère. Le phénomène prit naissance en 2003, à la faveur d’un film, La Vie aquatique de Wes ­Anderson, vrai-faux biopic dans lequel le cinéaste américain adressait une dédicace hyper-fétichisée au commandant Cousteau, symbolisé par le personnage de Steve Zissou, dandy cynique joué par Bill Murray.

La bande annonce de La Vie aquatique, de Wes Anderson

The Life Aquatic with Steve Zissou - Trailer - (2004) - HQ
Durée : 02:31

Après la sortie du film, la marque de streetwear française Qhuit met en vente un tee-shirt à l’effigie de l’explorateur, sur lequel est imprimé : « Who’s the boss ? » Porté par le rappeur français Jazzy Bazz dans ses clips, le maillot est un carton commercial, tandis que le fameux bonnet rouge s’offre lui aussi un retour de mode, exhumé notamment par le créateur Alexandre Mattiussi (AMI).

Vague de nostalgie et série de casseroles

« Cousteau s’est imposé comme une égérie hipster. Ce qui est quand même amusant pour un type qui incarnait au départ la vieille France bourgeoise et conservatrice », note Jérôme Salle, le réalisateur de L’Odyssée, premier vrai biopic consacré au capitaine de la Calypso, qui vient de sortir au cinéma.

Cette vague de nostalgie est d’autant plus surprenante que la légende Cousteau a souffert d’un violent retour de bâton ces derniers temps, alimenté par quelques polémiques. En juin 2015, dans sa chronique de l’émission de radio « Là-bas si j’y suis », le romancier et cinéaste Gérard Mordillat écornait l’image du commandant écolo, qu’il accusait d’avoir contribué à l’exploitation sauvage de la mer dans son film Le Monde du silence, sorti en 1956.

« Les gens méconnaissent son histoire, ils ne savent rien de ses contradictions. » Jérôme Salle, réalisateur

D’autres tribunes ont également relancé une controverse sur l’attitude du célèbre océanographe durant la seconde guerre mondiale, certains le soupçonnant ­d’affinités dangereuses avec son frère, Pierre-Antoine Cousteau, collaborationniste notoire. Mais aucune de ces casseroles n’a entamé la popularité de l’explorateur, selon Jérôme Salle : « Les gens méconnaissent son histoire, ils ne savent rien de ses contradictions. ­Cousteau est aujourd’hui devenu une marque, une image, qui est totalement dissociée de l’homme. » Image qu’il a d’ailleurs lui-même contribuée à façonner dès les années 1950, jetant les premières bases de son mythe pop.

L’ambassadeur de sa propre marque

Fasciné par la culture américaine et le monde de la publicité, Cousteau a vite parié sur la communication, la mise en scène, l’iconographie. « Il savait l’importance du style, poursuit Jérôme Salle. Les fans s’interrogent sur le sens du bonnet rouge. Ils y voient une référence aux bagnards ou un rappel au scaphandrier, mais non : c’était un choix esthétique. Une idée marketing. Et c’est pareil pour les combinaisons noires à bandes jaunes que Cousteau faisait porter à son équipage : il savait que ça allongerait les silhouettes, que ça aurait du style. »

Avec ses chemises en jean et ses manteaux croisés dessinés par Pierre Cardin – pièce à laquelle la marque APC rend hommage dans sa dernière collection –, Cousteau anticipa les codes graphiques de l’ère hipster, qui privilégie un retour aux sources et une mode minimale.

Mais derrière ce goût très contemporain pour le vintage, la fascination qu’exerce l’homme des mers sur la nouvelle génération reflète aussi un désir plus secret et enfoui. « Il y a une grande part de nostalgie pour une époque révolue et fantasmée, décrypte Lambert ­Wilson, qui s’est glissé dans la peau du célèbre marin pour L’Odyssée. Les jeunes voient en Cousteau l’incarnation de la France d’après-guerre, celle de l’élan reconstructeur, de la conquête. Il représente un paradis perdu, où l’homme vivait dans un état de jubilation permanent et inconscient. Tout l’inverse de notre époque terrorisante et cynique. » Sous le bonnet rouge, les rêves.

La bande-annonce de L’Odyssée, de Jérôme Salle, avec Lambert Wilson. En salles.

L'ODYSSÉE - Bande-annonce - Un film de Jérôme Salle
Durée : 02:10

Par Romain Blondeau