Où en est le studio Ghibli ? Le sait-il lui-même ? Difficile de répondre à cette question tant les signaux adressés par les fondateurs du célèbre studio japonais, notamment le producteur Toshio Suzuki, semblent indéchiffrables, voire contradictoires. Ghibli semblait en sommeil depuis 2014 et la sortie de Souvenirs de Marnie, d’Hiromasa Yonebayashi. Après ce film, Toshio Suzuki avait évoqué une « pause ».

Certains l’ont interprétée comme une volonté d’arrêter. De fait, l’année précédente, c’est l’icône du studio, le réalisateur Hayao Miyazaki, que M Le magazine du Monde rencontre à Tokyo, qui avait annoncé sa retraite après la sortie de son dernier long-métrage, Le vent se lève. Son départ s’est accompagné de la dissolution de son équipe. À l’époque, il estimait trop dur, en raison notamment des coûts de production, de continuer à travailler comme il l’avait toujours fait, au crayon et au papier. Quant à l’autre réalisateur majeur de Ghibli, Isao Takahata, auteur du Tombeau des lucioles, il aura à la fin du mois 81 ans.

« Je ne crois pas à l’existence d’une esthétique particulière à Ghibli. Il existe une esthétique Hayao Miyazaki et une esthétique Isao Takahata. » Michael Dudok de Wit, réalisateur

Or, cette année, le studio est apparu aux côtés notamment des sociétés franco-allemande Wild Bunch et française Why Not Productions sur les crédits de La Tortue rouge. Ce film d’animation du réalisateur néerlandais Michael Dudok de Wit a obtenu en mai le prix spécial Un certain regard au Festival de Cannes. Sorti au Japon le 17 septembre, il n’a pas rencontré le succès escompté. Pour sa première semaine d’exploitation, il n’a pas atteint les 10 milliards de yens (86 millions d’euros) de recettes, chiffre « normal » pour les films Ghibli. « Les films à succès ne sont pas du studio Ghibli, peut-on lire sur le site populaire Girls Channel, au milieu de commentaires mitigés. Ils sont d’Hayao Miyazaki. »

Michael Dudok de Wit s’est toujours défendu d’avoir travaillé en ayant à l’esprit une esthétique Ghibli, même si Isao Takahata est le producteur artistique de La Tortue rouge. « Je ne crois pas à l’existence d’une esthétique particulière à Ghibli, a déclaré le réalisateur lors de la présentation du film en septembre au club des correspondants de la presse étrangère de Tokyo (FCCJ). Il existe une esthétique Hayao Miyazaki et une esthétique Isao Takahata. »

Une première coopération internationale

Également présent à cette présentation, Toshio Suzuki a été interrogé pour savoir si cette première coopération internationale de Ghibli en appelait d’autres. « Cela dépend de la possibilité de me retrouver dans une situation similaire [à celle ayant mené à La Tortue rouge], a répondu le producteur. Je pense que Michael [Dudok de Wit] est un cas à part. Mon intérêt est né quand je suis tombé amoureux de son court-métrage Père et Fille et de ma curiosité : que donnerait un long-métrage avec un tel réalisateur ? Tout cela fut le point de départ du projet. »

La contribution du studio Ghibli à la production de « La Tortue rouge », du Néerlandais Michael Dudok de Wit, primé à Cannes cette année, a relancé l’hypothèse d’un « réveil ». | Wild Bunch/Why Not/ Ghibli / DR

Quant à Hayao Miyazaki, aujourd’hui âgé de 75 ans, il entretient lui aussi une certaine forme de mystère. Il a annoncé sa retraite six fois et en est sorti… six fois. Ainsi, en 2015, s’est-il lancé dans la réalisation d’un court-métrage, Kemushi no Boro (« Boro la chenille »). Il travaille entièrement avec des technologies numériques, une première pour lui. Ce petit film d’une dizaine de minutes, un projet datant de 1997, sera diffusé à partir de 2018 uniquement au musée du studio, établi à Mitaka, dans la banlieue de Tokyo.

Par ailleurs, d’après Toshio Suzuki, le réalisateur de Princesse Mononoké et de Nausicaä de la vallée du vent aurait beaucoup aimé le travail de l’équipe de La Tortue rouge, réalisé dans le studio français Prima Linea Productions, installé à Angoulême. « Je veux cette équipe, aurait affirmé Hayao Miyazaki. Si je l’avais, je pourrais faire un travail similaire. »

« La dernière prophétie de Miyazaki », paru dans « M Le magazine du Monde » le 18 janvier 2014. | Cédric Bihr pour M Le magazine du monde