La Guinée équatoriale ne s’en cache pas : c’est bien l’ordonnance de renvoi de Teodorin Obiang devant la 32e chambre correctionnelle de Paris, délivrée le 5 septembre, qui a motivé son recours devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye. L’Etat équato-guinéen demande à la juridiction onusienne d’ordonner la suspension des procédures françaises engagées contre son vice-président, Teodorin Obiang, ainsi que la saisie de l’immeuble du 42, avenue Foch.

Après, seulement, la Cour pourra se prononcer sur le fonds du dossier dont elle a été saisie en juin : l’immunité diplomatique de Teodorin Obiang, qui est aussi le fils du président, et l’inviolabilité de locaux dont il affirme user pour sa mission diplomatique en France. « Un hôtel particulier privé », rétorque à l’audience de mardi 18 octobre l’avocat de la France, Alain Pellet. « Cet immeuble est un bien privé, soupçonné d’être le fruit du blanchiment d’argent », ajoute François Alabrune, directeur des affaires juridiques du Quai d’Orsay. Selon les réquisitions du parquet financier, il est « le produit de détournements de fonds publics » et de « corruption ».

La partie équato-guinéenne est donc inquiète. « L’immeuble risque d’être confisqué puis vendu aux enchères », plaidait, la veille, Me Jean-Charles Tchikaya. Aucun risque, affirme Paris, aussi longtemps que l’affaire pour blanchiment qui pèse contre Teodorin Obiang n’aura pas été définitivement jugée. De fait, le procès en France ne s’ouvrira pas avant 2017 et, si tous les recours sont utilisés, l’issue définitive ne sera pas connue avant 2019, a expliqué aux quinze juges François Alabrune.

« Besoin compulsif d’acheter »

Une audience de procédure est convoquée par la chambre correctionnelle de Paris, le 24 octobre, mais l’émirat pétrolier d’Afrique centrale, où plus de la moitié des habitants vit sous le seuil de pauvreté, n’a pas l’intention d’accepter la juridiction française. A La Haye, la Guinée équatoriale évoque donc « un mal irréparable » si l’affaire n’est pas suspendue.

En 2012, des biens ont été saisis dans cet « hôtel particulier de 4 000 mètres carrés », abritant une boîte de nuit, un salon oriental, une chambre de 100 mètres carrés, le tout acquis « à titre privé via des sociétés suisses », explique Me Alain Pellet, qui poursuit ce luxueux inventaire. Des œuvres d’art, des costumes de grands couturiers, des Bugatti Veyron, « il y en avait trois », s’offusque l’avocat, des Ferrari, des Porsche, des Aston Martin, des Mercedes, dont aucune n’était équipée d’une plaque diplomatique. Un immeuble un temps « déguisé » en mission diplomatique par des « affichettes de fortune », dénonce-t-il encore, puis en résidence de la représentante de Guinée équatoriale à l’Unesco. Tout cela pour « satisfaire le besoin compulsif d’acheter, qui taraude non pas le ministre, non pas le vice-président, mais Monsieur Obiang ». Obiang fils a par le passé été poursuivi en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, et tout récemment en Suisse.

Menace sur la réputation de la Guiné équatoriale

Ministre de l’agriculture lors du dépôt de la première plainte par l’association Sherpa en 2007, Teodorin Obiang est devenu depuis deuxième vice-président, puis vice-président de son pays. Il est désormais chargé de la défense et de la sécurité d’Etat. « Ce n’est pas un diplomate, il est vice-président, une fonction qui n’entrera pas dans le champ de la Convention de Vienne de 1961 », assure Me Alain Pellet, qui défie les juges d’étendre « l’immunité de la troïka » – chef de l’Etat, chef de gouvernement et ministre des affaires étrangères.

Cependant, pour la Guinée équatoriale, l’immunité s’étend au-delà de ce cercle : en tant que vice-président, Teodorin Obiang a des fonctions de chef de l’Etat. « Il y a un risque réel et imminent qu’il soit jugé et définitivement condamné », poursuit Me Tchikaya, ce qui causerait un préjudice à « la réputation de la Guinée équatoriale dans le monde entier », enchaîne l’avocat sir Michael Wood. Les juges débuteront leur délibéré mercredi. Leur décision est attendue dans les prochaines semaines.