LA LISTE DE NOS ENVIES

Quelque chose laisse supposer que Brice 3, qui est plutôt réussi, ce qui ne gâche rien, va surfer sur la semaine cinématographique. Une raison insuffisante pour « casser » les concurrents, parmi lesquels une comédie américaine au très mauvais esprit, un documentaire russe qui soulève l’âme, et un film d’animation délicat sur l’enfance maltraitée.

LE CORNICHON ET LA VAGUE, OU LE SURF PATAPHYSIQUE : « Brice 3 », de James Huth

BRICE DE NICE 3 Bande Annonce (Jean Dujardin - Comédie, 2016)
Durée : 02:41

Le retour du surfeur qui ne sait pas nager, gros succès de 2005, film à mythologie, serait-il calamiteux ? L’épisode 2 ayant été « cassé », nous apprend-on, on passe directement au 3, selon l’esprit pataphysique propre au cornichon niçois.

Saluons la réussite du film, ses concepteurs ayant su conserver au héros et à ses aventures l’esprit d’enfance, d’escalier et de saugrenu qui lui donnent son cachet. Plus fort et plus improbable, Brice 3 réussit cet exploit en philosophant, puisqu’il met précisément en scène et en abyme ce qu’il s’est refusé à devenir, soit un film dopé par le succès, jouant la carte de la surenchère et galvaudant la sainte simplicité de son modèle.

Tout au contraire : dans Brice 3, Brice de Nice 1, dix ans de ridicule et donc d’humanité supplémentaires dans les dents, alerté par son ami Marius, combat Brice de Nice 2 (Dujardin itou), odieux imposteur qui cherche à l’éliminer, ayant séduit les membres d’un club de vacances haïtien par la puissance décuplée d’une casse devenue pur exercice de mépris et de cruauté. S’il faut faire un dessin, la « casse » est à Brice de Nice ce que la Force est à Star Wars. Jacques Mandelbaum

« Brice 3 », film français de James Huth avec Jean Dujardin, Clovis Cornillac, Bruno Salomone, Alban Lenoir (1 h 35).

POINT DE VUE D’UN BASSET SUR LA BOURGEOISIE AMÉRICAINE : « Le Teckel », de Todd Solondz

LE TECKEL Bande Annonce (Todd Solondz - 2016)
Durée : 01:28

Le nouveau film de Todd Solondz n’apaisera sans doute pas les détracteurs de l’œuvre de l’auteur de Bienvenue dans l’âge ingrat. S’y imposent à nouveau en effet le même humour frontal et vachard, la même vision misanthrope de l’existence, le même intérêt pour des personnages perdus par leurs névroses et une solitude qu’ils construisent sans doute eux-mêmes.

Spéculant sur une sorte de mauvaise jouissance chez le spectateur, le cinéma de Todd Solondz tend à la classe moyenne américaine le miroir, peut-être un peu complaisant mais assez réjouissant, de son ennui existentiel et de ses illusions dérisoires. La fable prend ici la forme de quatre histoires, toutes reliées entre elles par un chien, un teckel à poil ras, à la fois témoin et réceptacle des frustrations de ses différents propriétaires. Jean-François Rauger

« Le Teckel », film américain de Todd Solondz avec Julie Delpy, Danny DeVito, Ellen Burstyn (1 h 28).

DEUX CAPTIVES EN SIBÉRIE : « Manuel de libération », d’Alexander Kuznetsov

MANUEL DE LA LIBÉRATION Bande Annonce (Documentaire Sibérie - 2016)
Durée : 01:41

Alexander Kuznetsov, documentariste russe de grand talent, filme des pensionnaires d’une institution spécialisée mis sous tutelle de l’Etat, faute de pouvoir assumer leur place dans la société. Ces établissements pullulent en Russie, et l’incapacité légale qui frappe leurs pensionnaires est particulièrement difficile à lever. On risque donc plus souvent d’y finir enfermé que le contraire.

Kuznetsov, qui vient de la photographie de presse et du journalisme, a filmé dans un de ces internats neuropsychiatriques, en Sibérie ; il a suivi surtout le cas de deux jeunes femmes entreprenant une démarche administrative devant la justice russe pour recouvrer leurs droits civiques. Sujet austère donc, dont on se surprend à sortir complètement bouleversé. Les jeunes filles y sont fortes et admirables, elles sont le sel d’une terre sur laquelle les hommes semblent condamnés à l’injustice et la souffrance. J. M.

« Manuel de libération », documentaire russe d’Alexander Kuznetsov (1 h 20).

UNE ODE À LA VIE À l’ORPHELINAT : « Ma vie de courgette », de Claude Barras

MA VIE DE COURGETTE Bande Annonce Teaser + Extraits (Animation - Cannes 2016)
Durée : 03:42

Un garçonnet de 10 ans, Icare, surnommé Courgette, voit sa mère, alcoolique invétérée, passer de vie à trépas alors qu’il lui a refermé la trappe de sa chambre au visage, de crainte qu’elle ne le batte encore. Placé en orphelinat par la justice, le petit Courgette, désemparé, va devoir se familiariser avec ce monde d’enfants que la vie n’a pas plus épargnés que lui, et dont la solidarité, après des débuts un peu rudes et avec l’aide de quelques adultes bien intentionnés, va l’aider à se reconstruire.

On se dira possiblement, à cette lecture, que les temps sont suffisamment durs comme ça pour s’infliger en famille une sortie à la Charles Dickens. Ce serait se tromper d’objet. Ma vie de courgette est un film humaniste, drôle et grave à la fois, évoquant des choses tragiques avec la politesse de la légèreté, et infiniment réconfortant au bout du compte. Il n’y a pas de mal à ça. Son esthétique est également pour beaucoup dans ce sentiment. Le film est en effet tourné en stop motion avec des marionnettes, ce qui lui confère un côté artisanal plus vivant et plus touchant que les figures lissées par ordinateur. J. M.

« Ma vie de courgette », film d’animation français de Claude Barras (1 h 06).

RÉTROSPECTIVE « L’AMÉRIQUE DES MARGES » À NANTES

Shotgun Stories ( bande annonce VOST )
Durée : 01:34

La ville est belle (Nantes), la salle est historique (Le Cinématographe), et la programmation, qui court jusqu’au 22 novembre, s’impose à quelques encablures de l’élection présidentielle aux Etats-Unis, au terme de la campagne la plus méphitique de l’histoire de ce pays.

En une vingtaine de films, nous voilà donc invités à visiter « l’Amérique des marges », soit cette Amérique de l’exclusion, de la misère, de la laideur et de la souffrance qui prend plus de place qu’on pourrait le croire et que les médias ou le cinéma hollywoodien donnent rarement à voir. Les films indépendants s’y risquent davantage.

On en découvrira une vingtaine ici, de toutes époques et de tous genres, qui donnent une figure aux déclassés de ce grand pays, tels The Connection (1961), de Shirley Clarke, Welfare (1975), de Frederick Wiseman, Shotgun Stories (2008), de Jeff Nichols, Frozen River (2009), de Courtney Hunt, ou Winter’s Bone (2010), de Debra Granik. J. M.

Le Cinématographe, 12 bis, rue des Carmélites, Nantes. Tél. : 02-40-47-94-80.