La faune sauvage, on ne le sait que trop, est engagée dans une extinction massive, sous l’effet d’agressions multiples et souvent conjuguées. Toutes espèces confondues, la destruction des habitats naturels, du fait de la déforestation, de l’extension des cultures ou de l’urbanisation, est la première cause de ce déclin. Mais, pour un quart des mammifères terrestres en danger de disparition, la chasse illégale constitue la principale menace. Destinée principalement au prélèvement de viande, mais aussi de parties animales utilisées en médecine traditionnelle, cette pratique, encouragée par le trafic international, a des conséquences désastreuses en cascade, sur les milieux naturels comme sur la sécurité alimentaire des populations locales.

C’est ce que dénonce une vaste étude internationale, publiée en ligne mercredi 19 octobre sur le site de la revue Royal society open science. Ce travail, mené par quinze spécialistes de la vie sauvage, brosse un tableau dont les grandes lignes étaient déjà connues, mais en l’étayant par des donnés à la fois globales et précises.

Les auteurs sont partis de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dans laquelle 1 169 espèces de mammifères terrestres sont classées comme en danger, et ils ont passé au crible les différentes menaces auxquelles chacune est soumise. Il apparaît que le braconnage est la première raison de la régression de 301 de ces espèces, soit 26 % du total, dont 115 sont classées par l’UICN comme « vulnérables », 114 « en danger » et 72 « en danger critique d’extinction ».

Les primates les plus touchés

Encore les chercheurs se sont-ils montrés prudents. « Ces 301 espèces sont les pires cas de populations de mammifères en déclin pour lesquelles la chasse et le piégeage sont clairement identifiés comme une menace majeure », précise William Ripple, professeur d’écologie à l’université de l’Oregon (Etats-Unis), qui a dirigé cette étude.

Toutes les familles d’animaux paient un lourd tribut au braconnage, des carnivores (tigre, panthère, ours à lunettes, ours noir d’Asie….) aux ongulés (rhinocéros indien, de Java et de Sumatra, hippopotame amphibie, tapir de Malaisie, bœuf sauvage, yak, chameau sauvage de Tartarie, cerf de Java, gazelle de Cuvier…), en passant par les marsupiaux, les chauves-souris, les pangolins et les rongeurs.

Mais les plus touchés sont les primates, avec pas moins de 126 espèces affectées : gorille de l’Ouest, chimpanzé commun, bonobo, mandrill, rhinopithèque brun, macaque de Tonkean, atèle à tête brune, ainsi que de nombreux autres singes et lémuriens.

Sur le planisphère, c’est en Asie (Inde et Chine) que l’on trouve le plus d’espèces mises à mal, devant l’Afrique, l’Amérique latine et l’Océanie. Souvent, il s’agit d’espèces endémiques qui risquent donc d’être rayées de la surface du globe, en particulier à Madagascar, en Indonésie, aux Philippines, au Brésil et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Commerce international

Ces massacres, soulignent les auteurs, n’ont pas pour seul effet de décimer les populations de mammifères. Ils bouleversent aussi les écosystèmes. Les grands carnivores et herbivores jouent en effet un rôle crucial dans l’équilibre des écosystèmes, tandis que les animaux de plus petite taille contribuent, par exemple, à la dispersion des graines.

Ce n’est pas tout. Il en va, notent les chercheurs, de la subsistance de « centaines de millions de personnes » de par le monde, pour lesquelles la viande de brousse constitue aujourd’hui une importante source de protéines. Car la chasse, qu’elle soit légale ou réglementée, ne sert pas seulement à nourrir les communautés locales de pays en développement, loin s’en faut.

Une grande partie des animaux abattus le sont pour alimenter un commerce international non seulement de viande, mais aussi de cornes, ivoire, peaux, os ou autres parties animales aux prétendues vertus médicinales, ainsi que d’animaux sauvages « de compagnie » et de trophées décoratifs. « La contrebande d’animaux sauvages est organisée par de dangereux réseaux internationaux et, en termes de profits, elle se range au niveau du trafic d’armes, d’êtres humains et de drogues », observe William Ripple.

La viande de brousse elle-même se retrouve ensuite, pour une large part, sur les étals de marchés ou au menu de restaurants – y compris européens – où l’on peut parfois goûter, par exemple, de la chair de gorille, espèce pourtant protégée. Régulièrement, des lots de viande de singe, de crocodile, de pangolin, de porc-épic ou d’antilope sont saisis par les douaniers dans les bagages de voyageurs à l’aéroport de Roissy.

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Volonté politique insuffisante

Que faire ? Les auteurs énoncent une série de préconisations : extension des aires protégées pour les mammifères en voie de disparition ; durcissement des législations nationales et internationales sur le braconnage et le commerce illégal d’animaux ; promotion d’alternatives alimentaires privilégiant les protéines végétales pour les populations locales ; éducation des consommateurs des autres pays… Mais ils ne cachent pas la difficulté de la tâche. D’autant que des phénomènes comme la surpêche, qui réduit les ressources en poissons des pays du Sud, pousse parfois leurs habitants à se rabattre sur la viande de brousse.

Guillaume Chapron, chercheur en écologie à l’université suédoise des sciences agricoles, qui a participé à ce travail, commente ainsi :

« Cette étude vise à présenter, au grand public et aux responsables politiques, une vision globale de l’étendue de la crise actuelle. Les méfaits de la chasse aux trophées sont souvent mis en avant, mais le trafic de viande de brousse est largement plus nocif pour la faune sauvage. »

Pessimiste, le chercheur ajoute :

« Sauvegarder les espèces menacées d’extinction devient un défi de plus en plus ardu, compte tenu de la croissance des populations humaines et de la consommation effrénée. La volonté politique est insuffisante. Une catastrophe est en train de se dérouler sous nos yeux dans le silence. »