Vladimir Poutine, François Hollande, Petro Porochenko et Angela Merkel, lors de pourparlers sur la crise ukrainienne à Minsk, le 11 février 2015. | VASILY FEDOSENKO/REUTERS

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, l’a présenté comme « un pur geste de bonne volonté des militaires russes ». L’« arrêt provisoire » des frappes menées par l’aviation russe et par celle du régime de Damas sur les quartiers rebelles de l’est d’Alep en vigueur depuis mardi 18 octobre au soir devrait permettre la mise en œuvre de la « pause humanitaire » prévue pour le surlendemain.

Cette annonce a été faite quelques heures avant « la réunion de travail sur la Syrie » mercredi à Berlin entre Vladimir Poutine, François Hollande et Angela Merkel. Elle doit se tenir juste après leur rencontre sur l’Ukraine – celle-là élargie au président Petro Porochenko – afin de tenter de relancer les accords de paix de Minsk, de février 2015, signés sous un parrainage franco-allemand afin de mettre un terme à la rébellion séparatiste prorusse à l’est du pays. Ce processus est au point mort. Et il est peu probable que la rencontre de Berlin porte à la moindre percée d’autant que pèse l’ombre de la crise syrienne même si, comme on le rappelle aussi bien à Paris et à Berlin qu’à Moscou, « ce sont des dossiers séparés et qui doivent le rester ».

Depuis trois semaines, le ton n’a cessé de monter entre les Occidentaux et la Russie à propos d’Alep, la seconde ville du pays, où les bombardements russo-syriens visent sciemment les populations civiles des quartiers rebelles, les infrastructures essentielles et les hôpitaux. Les Occidentaux, à commencer par Paris, n’hésitent pas à parler de « crimes de guerre ». L’annonce russe joue l’apaisement. Nul pourtant n’est vraiment dupe. « On a déjà vu ce genre d’engagement et de promesses et on a vu qu’ils ont été rompus », a commenté le porte-parole du département d’Etat américain.

Initiatives calibrées

John Kerry a tenté le 15 octobre à Lausanne – et sans résultat jusqu’ici – de relancer les discussions avec Moscou tout en les élargissant aux pays de la région, soutiens de la rébellion anti-Assad comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie ou proche du régime comme l’Iran. A Paris, on rappelle que l’on veut « toujours faire passer le même message à Vladimir Poutine sur la Syrie : un cessez-le-feu durable à Alep et un accès de l’aide humanitaire ». A cet égard le « geste de bonne volonté » de Moscou est pour le moins ambigu.

Depuis le début de la crise syrienne et plus encore après son intervention directe il y a un an afin de sauver le régime de Bachar Al-Assad, le Kremlin sait calibrer ses initiatives diplomatiques sur ses objectifs militaires. Le but de l’offensive massive lancée le 22 septembre sur Alep-Est, alors que se tenait l’assemblée générale de l’ONU à New York, est de s’emparer de la totalité de la ville et d’enlever à la rébellion démocratique anti-Assad son dernier véritable bastion urbain.

Mais la reconquête militaire, même avec l’aide de l’aviation russe dotée de bombes antibunker et, au sol, de celle des combattants du Hezbollah libanais et de conseillers iraniens, s’annonce aussi longue que difficile pour les forces du régime. Quelque 250 000 habitants résistent dans les ruines. Le but est de vider la ville en laissant partir les civils mais aussi les combattants, y compris les djihadistes de l’ancien Front Al-Nosra lié à Al-Qaida qui ne sont qu’une poignée, entre 200 et 500 selon les experts. Cela avait été fait notamment à Daraya, dans la banlieue de Damas.

« Il n’y avait là que 20 000 habitants et quelques centaines de combattants et, en quatre ans de combats, malgré tous les moyens mis en œuvre, le régime n’a pas réussi à conquérir ce quartier », relève un diplomate occidental, soulignant toutes les difficultés d’une conquête militaire d’Alep-Est. Le très influent ministre de la défense russe, Sergueï Choïgou, ne cache d’ailleurs pas que l’évacuation est la priorité de Moscou et il reconnaît que « la pause humanitaire » doit permettre aux civils qui le souhaitent de partir. L’opposition modérée quant à elle dénonce ces évacuations forcées – même si elles sont négociées – comme du « nettoyage ethnique ».

Moyens de pression limités

S’il est aujourd’hui le maître du jeu sur le terrain, le Kremlin sait qu’il ne peut mener une longue et très meurtrière opération sur Alep. Certes les Occidentaux n’ont guère désormais de moyens de changer la donne alors même que le ciel syrien est verrouillé par l’aviation russe et les batteries de missiles antiaériens S-300 et S-400 livrés par Moscou avec les conseillers à même de les utiliser. Les moyens de pression diplomatique sont limités.

La Russie n’en est pas moins toujours plus isolée face à une indignation internationale croissante. Début octobre, lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU du projet de résolution française exigeant l’arrêt immédiat des bombardements sur la ville, seul le Venezuela a appuyé le veto russe. Même Pékin cette fois a préféré s’abstenir.

A Washington, mais aussi à Paris et à Berlin, on évoque aussi de possibles sanctions visant les responsables syriens, voire russes, des « crimes de guerre » commis à Alep. La question sera aussi à l’ordre du jour du Conseil européen des 20 et 21 octobre. La majorité des Vingt-Huit est réticente à prendre sur la Syrie des sanctions économiques contre Moscou dans l’esprit de celles qui furent adoptées – avec une réelle efficacité – pour faire pression sur Moscou dans la crise ukrainienne. Ces derniers mois, certaines capitales européennes traditionnellement prorusses ou très impliquées dans les échanges avec la Russie demandaient une levée progressive des sanctions. « Les massifs bombardements russes sur Alep ont bloqué ces tentatives », reconnaît un haut diplomate français. Le Kremlin est aussi conscient de cette réalité. D’où son annonce d’un arrêt au moins provisoire de ses raids.