Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, sur le balcon de l’ambassade de l’Equateur, le 5 février 2016 à Londres. | NIKLAS HALLE'N / AFP

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, l’avait promis : chaque semaine, le site publierait de nouvelles révélations sur la campagne américaine, jusqu’au 8 novembre, date du vote. Depuis, les documents embarrassants pour le Parti démocrate se succèdent, en provenance de la boîte électronique de John Podesta, le responsable de la campagne de Hillary Clinton, dont les courriels ont été piratés. Dernier en date : un message dans lequel la candidate démocrate évoque le soutien « logistique et financier » du Qatar et de l’Arabie saoudite, alliés des Etats-Unis, à l’organisation Etat islamique (EI).

WikiLeaks s’en défend, mais fait depuis plusieurs mois ouvertement campagne pour Donald Trump. Pas uniquement en publiant de manière feuilletonnée des documents sur sa rivale, Hillary Clinton, mais aussi en relayant des messages favorables à M. Trump, en appuyant son discours sur les « médias corrompus », et en cherchant sans relâche les erreurs et les mensonges dans les propos des soutiens de Mme Clinton.

Pourtant, ce soutien quotidien au candidat républicain est très récent. En septembre 2015, Julian Assange décrivait Donald Trump comme un homme « encore plus belliqueux » qu’Hillary Clinton, surfant sur un « nationalisme grotesque ». Mais WikiLeaks est profondément hostile à Hillary Clinton, qui dirigeait la diplomatie américaine lorsque l’organisation a publié, avec plusieurs médias dont Le Monde, ses révélations sur les télégrammes diplomatiques américains.

Pendant des mois, c’est à Bernie Sanders, le rival démocrate à l’investiture de Mme Clinton, qu’allaient les faveurs de WikiLeaks. Populaire, parfois populiste, Bernie Sanders promettait, à sa manière, de « hacker le système », de révolutionner la politique tout comme WikiLeaks veut révolutionner l’information. Sa campagne acharnée contre Hillary Clinton, c’était aussi David contre Goliath, un combat dans lequel pouvait s’identifier WikiLeaks, qui mène un conflit au long cours contre le département d’Etat américain.

Les supporteurs de Bernie Sanders l’avaient bien compris, avant même que WikiLeaks ne prouve, en publiant le 22 juillet des courriels du Comité national démocrate, que les institutions du parti avaient sabordé la campagne de M. Sanders : il y avait une alliance objective entre la gauche du Parti démocrate et WikiLeaks. Dans les conventions et les déplacements de Bernie Sanders, ses électeurs affichaient des banderoles de soutien à l’organisation.

Meilleur allié des républicains

Mais, depuis plusieurs mois, les messages de défense de l’organisation n’émanent plus de la gauche de la gauche. C’est la droite de la droite qui a pris le relais. Dernier soutien en date : le député républicain de Caroline du Sud, Jeff Duncan, issu du Tea Party, qui a remercié lundi 17 octobre WikiLeaks de « faire le boulot que les médias de masse ne font pas ». M. Duncan est le dernier d’une longue série de responsables républicains ultraconservateurs qui appelaient il y a quelques années à envoyer Julian Assange à Guantanamo, et qui voient désormais WikiLeaks comme leur meilleur allié pour sauver la campagne désastreuse de Donald Trump. L’organisation a alors adapté sa ligne en suivant l’évolution de son audience : désormais, ce sont surtout des militants républicains qui partagent et commentent les révélations de WikiLeaks sur Twitter.

Le discours de l’organisation, ses dénonciations des médias de masse, ses critiques contre l’oligarchie démocrate et son talent pour sous-entendre – et parfois prouver – l’existence de complots d’Etat entrent en parfaite résonance avec une partie de l’électorat républicain. Hier les supporteurs du Tea Party, aujourd’hui ceux de Donald Trump, voient dans l’Etat fédéral une clique d’intrigants qui complotent contre les « vrais Américains », avec l’aide de médias serviles. Et la galaxie de sites pro-Trump, parfois franchement conspirationnistes, se délecte des révélations de WikiLeaks. Le 4 octobre, la conférence de presse du dixième anniversaire de l’organisation a même été retransmise sur la chaîne YouTube qui suit tous les déplacements du candidat républicain.

Face au déluge de révélations embarrassantes, les démocrates pensaient avoir trouvé la parade : la carte russe. WikiLeaks serait le pantin de Moscou, et Julian Assange, un espion, accusent-ils. Il est possible, et même probable, que les documents du Comité national démocrate publiés par WikiLeaks proviennent d’un piratage orchestré par un groupe proche du Kremlin. Mais il en faudra plus pour prouver un lien direct entre Moscou et WikiLeaks, dont les dernières révélations, nettement moins percutantes que celles sur le Comité national démocrate, sont essentiellement relayées par des militants déjà dévoués à la cause de M. Trump.

Reste que WikiLeaks et la Russie ont au moins un point commun : un goût prononcé pour les techniques de déstabilisation. La Russie est passée maître dans une forme de guerre de communication visant à montrer aux Américains que leurs élites et leurs institutions sont corrompues. Julian Assange écrivait, il y a déjà dix ans, un manifeste dans lequel il expliquait que la meilleure manière de détruire une institution consistait à multiplier les fuites, pour conduire cette institution à s’autocensurer en permanence et pour rendre son fonctionnement impossible.