Inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2014, Battir aspire aujourd’hui à faire fructifier ses atouts touristiques, comme son écomusée (ici, sa directrice). | Pauline Beugnies pour M Le magazine du Monde

Battir repose les yeux. C’est un sentiment rare en Cisjordanie. Son paysage montagneux de terrasses de pierre, utilisées pour la production maraîchère grâce à des canaux d’irrigation millénaires, ou bien plantées de vignes et d’oliviers, présente une délicieuse particularité.

Il n’est pas perturbé par des barbelés, un barrage militaire ou une autre de ces balafres qui caractérisent la présence de l’occupant israélien. Situé à quelques kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, Battir est une raison en soi pour se rendre en Cisjordanie, et ce n’est pas rien. Mais sa beauté a failli subir un préjudice irréparable.

Lors de notre reportage en 2013 dans ce village en résistance, le ministère israélien de la défense envisageait de faire passer un tronçon de la barrière de séparation en contrebas. Début 2015, la Haute Cour de justice a gelé les plans du gouvernement, rejetant sa justification sécuritaire.

Une ouverture nouvelle au monde

Cette décision a couronné une mobilisation exceptionnelle, par son ampleur et sa nature, réunissant les habitants, des organisations de défense de l’environnement, mais aussi de simples citoyens, palestiniens ou israéliens, voulant préserver le site. La décision de l’Unesco, en juin 2014, d’inscrire Battir dans le Patrimoine mondial, a également eu un impact puissant.

Depuis, les habitants ont pris conscience de la nécessité d’utiliser au mieux cette richesse. « Du point de vue des mentalités, il s’agit d’un sentiment très nouveau avec des conséquences en termes d’ouverture au monde », explique Raed Samara, ancien vice-maire de Battir et aujourd’hui directeur exécutif de la communauté de communes au sud-ouest de Bethléem. Des pancartes en anglais sont apparues pour guider les touristes. Une boutique et une maison d’hôte les attendent.

Attirer autant que Bethléem

Depuis le début de l’année, ils sont près de 150 000, selon la municipalité, à avoir parcouru les ruelles escarpées de son centre et ses circuits de randonnée. Un restaurant de 300 places est en construction. Un plan de développement, Battir 2020, a été lancé. Le village se met à rêver : il veut rivaliser avec Jéricho ou Bethléem, en termes d’attractivité.

« On souhaite devenir le site numéro un de Palestine et ne plus dépendre de subventions, explique Sultan Al-Shami, 60 ans, qui tient le magasin de souvenirs. On veut donner un espoir aux gens et offrir des débouchés aux artisans locaux. » Dans la boutique, on fabrique des plats décoratifs à partir d’argile. Les motifs dépendent des pays concernés par l’exportation : Constantine en Algérie, la mosquée Al-Aqsa pour les Palestiniens… On vend aussi des pochettes et des sacs cousus par des femmes du village.

« Si on veut construire un hôtel, on trouvera les fonds. Mais où iront les eaux usées pour 20 ou 30 chambres ? » Elyan Al-Shami, secrétaire du conseil local

Ce programme volontariste semble bien rafraîchissant par contraste avec le pessimisme qui ronge la société palestinienne, mais il se heurte à des problèmes d’infrastructures. Le secrétaire du conseil local, Elyan Al-Shami, ne s’en cache pas. « Si on veut construire un hôtel, on trouvera les fonds. Mais où iront les eaux usées pour 20 ou 30 chambres ? Chaque maison possède son propre système d’évacuation, à l’ancienne, soit juste un trou creusé dans le sol, polluant les couches souterraines. Et puis il y a les routes, qu’il faudrait élargir, en détruisant pour cela des maisons. »

L’Autorité palestinienne n’aurait-elle pas intérêt à compenser les familles déplacées, pour le bien commun ? « L’AP est plus faible que nous !, rétorque Elyan Al-Shami. Ils ne nous aident pour rien. »

Une harmonie précieuse mais fragile

Wissam Eweineh, 36 ans, représente l’avenir de Battir, sa meilleure sève. Charismatique, énergique, le jeune homme a longtemps travaillé ailleurs. Comme psychologue en Cisjordanie, pendant la seconde Intifada, puis à Dubaï et à Tripoli, en Libye. Il a voyagé dans le monde pour mieux revenir sur la terre de son enfance, à Battir.

Il possède deux petites exploitations maraîchères bio et fabrique de l’huile d’olive. Sa passion, ce sont les randonnées. « Notre musée est sous le ciel, pas sous un toit, dit-il. Ça aurait été honteux pour l’humanité si les Israéliens avaient construit le mur. Il n’y a jamais eu d’incidents dans la vallée. Ici, nous avons de l’espoir et un temps limité, qu’il ne faut pas gaspiller dans le conflit. »

En vertu de l’armistice signé en 1949 et de la ligne de démarcation déterminée à l’époque, la gare au fond de la vallée a été attribuée au côté israélien. Mais les habitants de Battir ont reçu un privilège rare : continuer à cultiver leurs terres situées au-delà des rails et de la ligne verte, c’est-à-dire en Israël. En octobre par exemple se déroule la récolte des olives, sans coordination préalable avec l’armée. Pour préserver cette micro-harmonie, les aînés du village surveillent les plus jeunes, afin d’éviter tout dérapage. Lorsqu’en octobre 2015 commença une nouvelle vague de violences palestiniennes, ils rattrapèrent par le bout de la chemise une poignée de garçons voulant s’en prendre aux rails.