Le président russe, Vladimir Poutine, le 18 octobre 2016 à Moscou. | ALEXANDER ZEMLIANICHENKO / AFP

Incertaine jusqu’au tout dernier moment, la rencontre du « format Normandie » prévue mercredi 19 octobre au soir réunira bien à Berlin, autour de l’épineux dossier ukrainien, Angela Merkel, François Hollande, Petro Porochenko et Vladimir Poutine. Dans le climat de profonde défiance qui prévaut entre Russes et Occidentaux, particulièrement sur le dossier syrien, cette visite du président russe, confirmée la veille seulement de la rencontre, constitue une petite victoire pour la diplomatie européenne.

Mais ce succès, d’autant plus marquant qu’il intervient après l’annulation d’une visite à Paris de M. Poutine, ne peut cacher une réalité plus dure : le processus de Minsk, du nom des accords de paix signés dans la capitale biélorusse en février 2015, est au point mort. Et sur la Syrie, objet d’une rencontre dans la soirée entre dirigeants français, allemand et russe, l’impasse est quasi totale.

« Un millimètre, c’est déjà bien »

Fait rare, Moscou et Kiev n’ont pas caché leur scepticisme en amont de la rencontre, la première à ce niveau depuis celle d’octobre 2015 à Paris. En annonçant la participation de M. Poutine, son porte-parole, Dmitri Peskov, a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une « rencontre seulement d’une soirée, même pas d’une journée entière ». A la mi-journée, mercredi, la rencontre n’était toujours pas à l’agenda officiel du Kremlin. Le président « est toujours ouvert à la négociation, a fait valoir M. Peskov, mais la situation est particulièrement difficile ».

Côté ukrainien, et de façon tout aussi surprenante, un conseiller du président Porochenko prévenait ouvertement sur Twitter, mardi, qu’il ne fallait pas « surestimer les attentes ». « Cette rencontre est surtout importante pour Hollande et Merkel en termes de communication, ajoute un diplomate ukrainien sous couvert d’anonymat, pour montrer qu’ils ont toujours l’initiative et que le “format Normandie” n’est pas tout à fait mort. »

« Il y a toujours un risque à convoquer une réunion quand tout le monde n’est pas d’accord, mais, si on avance d’un millimètre, c’est déjà bien », fait-on valoir à l’Elysée, où l’on reconnaît que, « dans les discussions techniques à Minsk, on a du mal à faire avancer les choses ». Dès lors, la réunion de Berlin doit servir à donner « une nouvelle impulsion politique à ces discussions ».

Conflit semi-gelé

Le pessimisme ambiant tient à deux facteurs : la situation sur le terrain, d’abord, où la violence n’a jamais totalement cessé. Depuis début septembre et un nouvel engagement des belligérants à respecter la trêve, les violations du cessez-le-feu se comptent en centaines quotidiennement, expliquait mi-octobre au Monde Alexander Hug, le chef adjoint des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). C’est moins que les milliers de violations et la dizaine de morts par jour des mois précédents, mais encore trop pour assurer que les négociations politiques se déroulent dans un climat de confiance.

Surtout, le blocage le plus important concerne la partie politique du processus de Minsk, censé aboutir à un règlement définitif du conflit avec, in fine, le retour d’un contrôle ukrainien sur la frontière russo-ukrainienne en échange de l’octroi d’un « statut spécial » aux territoires séparatistes. Première étape sur ce chemin sinueux, l’organisation d’élections locales dans ces territoires. Kiev estime que la situation sécuritaire ne permet pas l’organisation d’un tel scrutin, et les dirigeants séparatistes eux-mêmes font preuve d’une rare intransigeance, refusant par exemple la participation des partis politiques ukrainiens. « Chaque partie estime que c’est à l’autre de bouger la première », constate une source française, qui pointe même le risque que « les deux parties s’installent dans une forme de confort » – autrement dit qu’elles se satisfassent de ce conflit semi-gelé.

Les Européens, qui ont fréquemment utilisé ces rencontres de haut niveau pour tordre le bras de Petro Porochenko, semblent vouloir cette fois épargner le président ukrainien, dont la marge de manœuvre est plus que jamais limitée face à l’opposition de son Parlement à des concessions trop importantes. Le 13 octobre, le ministre des affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, souvent prompt à exiger de Kiev des avancées, reconnaissait ainsi que « les conditions ne sont pas réunies pour l’organisation d’élections ». Quant à Vladimir Poutine, on l’imagine mal faire des concessions sur ce dossier vital, lui qui continue de prétendre ne pas avoir d’autorité sur les dirigeants séparatistes.