Jean-Pierre Bemba s’est présenté à l’audience avec la mine des mauvais jours, boudeur et mal rasé, comme s’il devinait le verdict qui l’attendait. Avec des allures potaches, coude sur la table et visage tenu dans sa paume, il a écouté le récit « du plan commun » qu’il a mis en place et pour lequel les juges de la Cour pénale internationale (CPI) l’ont déclaré « coupable », mercredi 19 octobre. Coupable d’atteintes à l’administration de la justice pour avoir suborné des témoins. Quatorze d’entre eux sont passés sous la coupe de M. Bemba, de son avocat d’alors, Me Aimé Kilolo et d’un associé, Jean-Jacques Mangenda.

A l’époque, entre 2011 et 2013, les deux hommes défendaient à la cour le chef du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), accusé de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre » commis en Centrafrique en 2002 et 2003 et pour lesquels il fut reconnu coupable en juin. Les quatorze témoins se voient alors offrir des sommes de 600 à 800 euros, des ordinateurs et, pour certains, la promesse d’un passeport pour l’Europe en échange d’une déposition en faveur de Jean-Pierre Bemba. Les fonds sont versés par des intermédiaires. Un autre accusé, le député congolais Fidèle Babala, va ainsi transférer des fonds à deux témoins, par l’entremise de l’épouse de l’un et de la fille de l’autre. « C’est bien de sucrer les gens », dira-t-il à Jean-Pierre Bemba lors d’un échange téléphonique devenu pièce à conviction du procureur.

« Faire la couleur »

Dans leurs conversations, ils utilisaient un langage codé, dont les juges livrent quelques passages à l’audience. « Faire la couleur » signifiait « préparer le témoin ». « J’ai toujours dit au client de refaire la couleur, parce que les gens oublient », dit ainsi Me Aimé Kilolo dans une autre conversation interceptée. Avant leur audition, les témoins sont préparés, répètent leur intervention. Quatre d’entre eux ont été recrutés par Narcisse Arido, l’un des cinq accusés. A la barre, ils doivent prétendre être des officiers. Narcisse Arido leur donne un cours accéléré d’art de la guerre et leur « fournit des insignes militaires ».

C’est par un courriel anonyme que le procureur avait eu vent de l’entreprise et ouvert une enquête, quand bien même il était partie au procès pour crimes contre l’humanité intenté contre Jean-Pierre Bemba. Suite à la déposition du dernier témoin, en novembre 2013, Aimé Kilolo, Jean-Jacques Mangenda, Fidèle Babala et Narcisse Arido étaient arrêtés à Bruxelles, La Haye, Kinshasa et Paris. Après onze mois en détention préventive, ils bénéficiaient d’une mise en libération provisoire. Les atteintes à la justice sont sanctionnées de cinq ans de prison et d’une amende proportionnelle aux avoirs des coupables.

La peine ne sera pas connue avant plusieurs semaines, mais, fort de sa victoire, le substitut du procureur, Kweku Vanderpuye, a demandé aux juges d’incarcérer les quatre hommes sur-le-champ. Il sera débouté. Seul Jean-Pierre Bemba retournera en cellule, pour continuer d’y purger les dix-huit ans de prison auxquels il a été condamné pour les crimes contre l’humanité commis en Centrafrique.

Principal chef de l’opposition congolaise

Dans les couloirs de la CPI, les partisans de Jean-Pierre Bemba commentent cette nouvelle décision. Pour Marie-Louise Efekele, représentante du MLC au Benelux, « ils ont bien fait leur travail, mais le MLC ne reconnaît pas cette double condamnation qui fragilise notre mouvement ». C’est surtout la condamnation pour les crimes commis en Centrafrique que la militante rejette. « Ce qu’il s’est passé en Centrafrique ne concerne pas les Congolais. Jean-Pierre Bemba n’avait pas autorité là-bas. » En 2002, le « Chairman », comme l’appellent ses partisans, avait envoyé ses troupes en renfort du président centrafricain d’alors, Ange Félix Patassé, menacé par les rebelles de François Bozizé, qui finira néanmoins par s’emparer du pouvoir. « Ils ont fait ce procès sans même entendre les principaux protagonistes », argumente Marie-Louise Efekele, jamais inquiétés par la CPI. Jean-Pierre Bemba « est un acteur important dans la politique du Congo. Sa place était importante à Kinshasa ». De fait, son inculpation avait privé la République démocratique du Congo (RDC) du principal chef de l’opposition.

Depuis son arrestation en Belgique, en mai 2008, ses partisans revoient leurs calculs à chaque étape de l’affaire. Le condamné, qui a fait appel, « est libérable à partir de 2020 », rappellent-ils. A moins qu’il ne doive payer d’une autre peine de prison la corruption de ses témoins.