Des soldats de l’ex-régiment de sécurité présidentielle, le 20 septembre 2015 à Ouagadougou, lors de leur brève prise du pouvoir. | SIA KAMBOU / AFP

Ils ne voulaient pas dévoiler leur identité. Malheureusement pour eux, leur interpellation a mal tourné. Ce samedi 8 octobre, quatre hommes roulent en moto sur le pont Nazinon, dans le Nahouri, une province du sud du Burkina Faso. Interceptés par la gendarmerie, ils sont sans papiers. Direction la brigade de Pô. Mais tous n’atteindront pas le poste. Pendant leur transfert, ils tentent de désarmer les gendarmes qui ripostent et tuent deux d’entre eux.

Lors de leur interrogatoire, les deux survivants tombent le masque. Saïdou Soulama et Khalifa Zerbo sont deux militaires de l’ex-régiment de sécurité présidentielle (ex-RSP). Cette ancienne garde rapprochée du président déchu Blaise Compaoré avait tenté un coup d’Etat le 16 septembre 2015, dont la paternité fut revendiquée le lendemain par le général Gilbert Diendéré, l’ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré chassé du pouvoir un an plus tôt. Comme Soulama et Zerbo, au moins une dizaine d’hommes, parmi les 1 300 membres de l’ex-RSP, avaient pris la fuite après l’échec du putsch. Les autres avaient été intégrés dans les différents corps de l’armée régulière après la dissolution du régiment.

« Pour prendre le pouvoir par la force »

Mais cette dissolution serait restée en travers de la gorge de certains des hommes du général Diendéré, désormais incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA). « Les enquêteurs de la police judiciaire ont découvert la préparation d’un vaste complot qui visait (…) la prise du pouvoir par la force, prétend Simon Compaoré, le ministre de l’intérieur. Les objectifs de ce groupe d’environ trente hommes, composé essentiellement de sous-officiers et de militaires de l’ex-RSP, étaient d’attaquer la caserne de la gendarmerie de Ouagadougou, d’attaquer la MACA pour libérer les détenus, de séquestrer certaines autorités et de s’attaquer à la présidence, à Kosyam, pour prendre le pouvoir par les armes. »

Une trentaine d’hommes pour renverser les institutions ? L’affirmation peut laisser sceptique. Quoi qu’il en soit, Gilbert Diendéré, alias « Golf », est la mémoire des vingt-sept ans de présidence de Blaise Compaoré. À l’extérieur, le général était l’un de ceux qui négociaient avec les groupes djihadistes, entretenant sa réputation d’homme le mieux renseigné du Burkina Faso, voir de la région. Au « pays des hommes intègres », aucun secret d’Etat ne lui était inconnu, lui qui était réputé pour sa fidélité sans faille envers Blaise Compaoré.

Mais à mesure que le procès sur la tentative de coup d’Etat approche - d’ici la fin de l’année selon le parquet militaire -, des inquiétudes jaillissent. Le si discret général serait-il prêt à révéler ses secrets ? « S’il parle, cela va éclabousser beaucoup de monde », avertit l’analyste politique Siaka Coulibaly. Depuis le 10 octobre, les visites à la MACA sont interdites.

Selon le ministre de l’intérieur, l’opération devait avoir lieu le samedi 8 octobre à minuit. Mais la mort des deux ex-RSP sur le pont Nazinon aurait contraint le groupe à mettre en œuvre son plan B visant à créer une mutinerie dans l’armée. « Pour ce faire, ces éléments devaient s’emparer des armes des militaires dans les postes de garde et effectuer des tirs tous azimuts dans toutes les garnisons afin de créer le chaos », poursuit Simon Compaoré. Un projet avorté qui aurait forcé l’équipe à sortir sa dernière cartouche : « créer une rébellion armée en opposant les différentes entités de l’armée nationale par des actions de désinformation via les réseaux sociaux et directement dans les casernes », avance encore le ministre.

Ménage dans les forces de sécurité

Pour comprendre les intentions de ces membres de l’ex-RSP, les forces de sécurité ont fait le ménage dans leurs rangs. Selon nos informations, une quinzaine de soldats a été entendue depuis l’affaire du pont Nazinon. Simon Compaoré, évoque dix-neuf militaires en garde à vue dont dix déjà déférés et présentés au procureur militaire ainsi que d’un homme toujours en fuite. Il s’agirait de l’adjudant Gaston Coulibaly, le cerveau désigné des opérations.

L’ancien chef de la sécurité de François Compaoré, le petit frère de Blaise, est décrit comme un homme « mouillé jusqu’au cou » et qui « n’a plus rien à perdre ». Lors de l’insurrection d’octobre 2014, il est soupçonné d’avoir fait feu sur les manifestants devant la résidence de son patron. Au sein du RSP, Gaston Coulibaly était membre du Groupement des unités spéciales (GUS), une sous-section notamment chargée de la lutte antiterroriste. Selon un haut gradé, « les membres de l’ex-RSP qui posent problème viennent presque tous de cette unité ». Pour fédérer ses compagnons d’hier, l’adjudant Coulibaly aurait disposé de fidèles relais intégrés dans l’armée régulière.

« L’importante majorité de ce personnel a une conduite irréprochable, tempère le général Pingrenoma Zagré, Chef d’état-major des armées. Les événements du Pont Nazinon nous ont permis de percevoir qu’il y a encore quelques éléments qui malheureusement n’ont pas encore compris le message. »

Une main extérieure ?

Pour l’analyste Siaka Coulibaly, le danger se situerait davantage en dehors de l’armée. « Après le coup d’Etat, les putschistes ont surtout fui en Côte d’Ivoire car ils étaient sûrs de trouver une partie du régime ivoirien qui leur soit favorable. La menace, c’est eux, car ils peuvent trouver des appuis, avoir des liens avec d’autres forces. » Selon plusieurs sources, trois des quatre ex-RSP interpellés sur le pont Nazinon venaient d’ailleurs de Côte d’Ivoire. De plus, des noms du clan Compaoré auraient été lâchés lors des interrogatoires menés auprès des ex-RSP.

Ce n’est pas la première fois que les anciens hommes de Diendéré s’agitent depuis l’échec de leur tentative de coup d’Etat. Le 22 janvier dernier, plusieurs d’entre eux - dont au moins deux des quatre hommes du Pont Nazinon, avaient attaqué le dépôt d’armes de Yimdi, situé à la sortie de Ouagadougou. Selon plusieurs sources, les forces de sécurité ont aussi déjoué une tentative de déstabilisation de l’ex-RSP, le 31 décembre 2015.

Toutes ces manœuvres supposées ont échoué. Plans « irréalisables » exécutés par des « imbéciles qui prennent leurs rêves pour des réalités » pour les uns, « signaux » et « coups de pression » envoyés au gouvernement pour les autres…

Action du président de plus en plus contestée

Les libertés provisoires accordées à certains prévenus dans l’enquête sur le coup d’Etat manqué ont suscité l’incompréhension. La dernière en date a été accordée le 18 octobre au lieutenant-colonel Mamadou Bamba, un officier que les Burkinabés ne sont pas prêts d’oublier. Le 17 septembre 2015, il annonçait le coup d’Etat de Gilbert Diendéré en direct sur la chaîne nationale.

Alors que le contexte sécuritaire se dégrade et que l’action du président Roch Kaboré est de plus en plus contestée par la population, l’ex-RSP apparaît cependant comme un ennemi idéal pour resserrer les rangs. D’autant que la famille politique de Blaise Compaoré tente de renaître de ses cendres. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et sept autres partis ont annoncé la naissance d’une nouvelle coalition le 16 octobre.

« Le pouvoir actuel est en train de perdre du terrain et plus le temps passe, plus sa marge de manœuvre se rétrécit. Le c’était mieux avant gagne du terrain », estime Siaka Coulibaly. Lors des élections législatives du 29 novembre dernier, le CDP avait remporté 18 sièges à l’Assemblée nationale. Trente-sept de moins que le MPP, mais suffisamment pour se positionner comme la troisième force politique au sein de l’Hémicycle.