Une manifestation devant la Maison de la culture équatorienne, lors de la conférence Habitat III à Quito, le 20 octobre. | JUAN CEVALLOS / AFP

Après quatre jours d’effervescence, la Maison de la culture équatorienne devrait retrouver la quiétude qui sied à cette vénérable institution. Les milliers de participants invités à débattre du thème de la ville lors de la troisième conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable – « HIII » dans une version plus courte – ont regagné, à partir de jeudi 20 octobre, leurs pays respectifs.

Avec dans leur bagage l’incontournable kit de bienvenue de toute conférence onusienne, quelques emplettes piochées parmi l’artisanat andin, et le document qu’ils étaient venus commenter à Quito, le « Nouvel agenda urbain ». Ce texte décliné en 175 alinéas et 23 pages a été adopté par consensus, jeudi, par les 193 Etats engagés dans la réflexion sur l’avenir des villes.

Si l’adoption de cet agenda international baptisé aussi « déclaration de Quito » ne faisait aucun doute, puisque la version avait reçu l’aval des négociateurs lors de l’ultime session préparatoire à HIII, en juillet à Surabaya (Indonésie), restait à voir comment il serait reçu par la communauté des acteurs de la ville.

Une urbanisation essentiellement pauvre

Comme à Vancouver en 1976, puis Istanbul en 1996, le document part du constat que la croissance urbaine ne faiblit pas à l’échelle planétaire. « D’ici à 2050, la population urbaine mondiale devrait presque doubler, faisant de l’urbanisation l’une des tendances les plus fortes du XXIe siècle », note la déclaration de Quito. La planète compte trois milliards d’urbains aujourd’hui, elle devrait en recenser six milliards à cette date, avec une expansion urbaine particulièrement significative dans l’hémisphère sud.

« Habitat III fait le constat que l’urbanisation n’a pas cessé, qu’au contraire elle continue d’augmenter et qu’elle est essentiellement pauvre », analyse Joao Sette Whitaker, secrétaire au logement de Sao Paulo, métropole de 11 millions d’habitants, dont 2 millions en situation de grande précarité. « La logique de l’urbanisation est une logique de production de privilèges, les politiques publiques ne peuvent aboutir qu’en se confrontant aux grands intérêts économiques », estime le professeur à l’université de Sao Paulo, rappelant les trois axes majeurs développés par l’équipe municipale : une offre de transports alternatifs à la voiture, un effort d’intégration de toutes les communautés dans la ville, une politique de logement social reposant sur l’accès aux services collectifs et sur des programmes de production massive d’habitat social.

« Droit à la ville »

« Pour la première fois, la conférence Habitat parle de ville, délaissant le terme d’établissements humains, observe l’architecte et chercheuse indienne Mukta Naik. La communauté internationale reconnaît que le futur se construit dans les villes, mais de quelle vision de la ville s’agit-il ? » « A Delhi, on a développé un magnifique réseau de lignes de métro, par exemple, mais les voies publiques sont toujours mal pavées, et les pistes cyclables ne sont pas suffisantes en nombre alors que 60 % des actifs de Delhi marchent pour se rendre à leur travail, détaille l’experte du Centre for Policy Research. La ville est-elle un support de développement économique au profit des plus riches, ou ne doit-elle pas plutôt assurer des conditions de vie correctes à tous ses habitants ? »

La question du « droit à la ville » a été l’un des fils rouges de la conférence de Quito. « Ce n’est plus un thème propre aux pays bolivariens, admet Maryse Gautier, la vice-présidente française du comité préparatoire à HIII. Le mouvement mondial de la CGLU [pour Cités et gouvernements locaux unis] met également cette question du droit à la ville sur la table. »

« Pas de lignes d’actions précises »

L'éruption du Cotopaxi au-dessus de Quito, le 27 août 2015. | Martin Bernetti/AFP

Logement, transport, planification urbaine, gouvernance participative, finance publique, accueil des migrants, réponse au changement climatique… le nouvel agenda urbain n’élude aucune problématique, mais reste « un inventaire générique, sans lignes d’actions précises, estime Mukta Naik. Habitat III n’a pas la force de mobilisation de la COP21 ».

Quelque 150 chefs d’Etat et de gouvernement avaient ouvert, fin 2015, la conférence climat de Paris-Le Bourget. Deux présidents seulement étaient présents, lundi 17 octobre, pour lancer Habitat III, l’Equatorien Rafael Correa et son homologue vénézuélien, Nicolas Maduro. « Une quinzaine de chefs d’Etat avaient fait le déplacement à Istanbul pour Habitat II », fait remarquer un chef de délégation.

« Dans les décisions qui accompagnent l’accord de Paris sur le climat, on s’efforce de chiffrer le plan d’action qui s’impose face au réchauffement climatique, pointe Jean-Claude Mbwentchou, le ministre de l’habitat et du développement urbain du Cameroun. Le plan d’action de Quito n’a de sens que si l’on dégage des moyens financiers pour assurer sa mise en œuvre. »

Le financement en question

Point de confrontation récurrent dans les débats Nord-Sud, le sujet du financement renvoie notamment à la capacité d’action d’ONU-Habitat. Financée à 70 % par les Etats-Unis et par l’Europe, l’agence, basée à Nairobi (Kenya), n’a pas fait la preuve de son efficacité et se trouverait, aujourd’hui, dans une situation budgétaire très dégradée. Le financement du nouvel agenda urbain devrait passer aussi par une réforme permettant aux élus locaux de s’adresser aux institutions bilatérales et aux banques multilatérales de développement sans en référer à leurs autorités gouvernementales.

Le document se conclut par plusieurs recommandations en matière de suivi des engagements urbains. « Un guide d’évaluation et de suivi du nouvel agenda urbain est absolument nécessaire, c’est un point sur lequel les pays africains ont beaucoup poussé, insiste Jean-Claude Mbwentchou. Cette évaluation ne peut se faire dans vingt ans, lors de la prochaine conférence Habitat. »

Le document adopté dans la capitale équatorienne propose que les forums mondiaux urbains (réunis tous les deux ans) et que le bilan des objectifs de développement durable, les ODD (prévu tous les quatre ans), servent de jalons à cette évaluation et entretiennent, selon Maryse Gautier, cette « nouvelle visibilité de la question urbaine » constatée à Quito.