Un manifestant appelle à l’abolition de la peine de mort, le 29 juin 2016, devant la Cour suprême des Etats-Unis, à Washington. | MANDEL NGAN / AFP

Une classe de troisième du collège André-Malraux à Asnières-sur-Seine, dans la banlieue nord-ouest de Paris. Dix-neuf élèves et leur professeur, Céline Lanoiselée, écoutent attentivement le récit d’une femme souriante d’origine ougandaise. Susan Kigula a passé seize ans dans une prison de son pays, dont quatorze dans les couloirs de la mort.

En 2000, on l’accusa d’avoir tué son mari à la machette. Elle avait 20 ans. Personne ne voulut la croire lorsqu’elle expliqua que des cambrioleurs avaient pénétré dans sa maison en pleine nuit et agressé sa famille, quand bien même elle fut elle-même conduite à l’hôpital inconsciente, gravement blessée au cou.

Elle fut condamnée à la peine capitale deux ans plus tard. « Attendre en prison la date finale, compter les jours jusqu’à la mort, souffrir de l’angoisse de ne plus jamais revoir sa famille, c’est le pire », raconte l’Ougandaise. « L’espoir disparaît peu à peu. »

Une jurisprudence porte son nom

Pour conjurer le sort, Susan Kigula commença à s’instruire derrière les barreaux. Du fait de sa discipline, elle put obtenir l’équivalent du baccalauréat et accéder ainsi aux études supérieures. « Quand un prisonnier ne sait ni lire ni écrire, il ne peut même pas suivre son propre dossier ou lire ses droits », explique Charlène Martin, responsable du programme « Eduquer » de l’association Ensemble contre la peine de mort.

Animée par la volonté de revoir sa fille, âgée d’un an au moment de son arrestation, Susan Kigula réussit ses études de droit à l’université de Londres, le même programme à distance qu’avait suivi Nelson Mandela. « J’étais déterminée à apprendre, car c’était le seul moyen de combattre mon ignorance et ainsi d’échapper à la mort », se remémore Mme Kigula.

S’appuyant sur ses nouvelles connaissances, elle put engager un recours pionnier devant la Cour constitutionnelle ougandaise, pour elle mais aussi pour 416 autres individus. Les juges relevèrent le 10 juin 2005 que la condamnation systématique à la peine capitale prévue pour certains crimes empêchait la prise en compte de circonstances atténuantes. Ils jugèrent également l’interminable attente dans le couloir de la mort cruelle et inhumaine. Une jurisprudence porte aujourd’hui son nom.

Depuis sa libération en janvier 2016, Susan Kigula milite pour l’abolition de la peine de mort. Elle n’a donc pas hésité à venir partager son expérience avec de jeunes élèves français à l’occasion du 35e anniversaire de l’abolition de la peine capitale en France. « L’éducation et la prise de conscience sont les clés du succès dans la lutte contre la peine de mort », explique-t-elle.

« Décision irréversible »

Charlène Martin a auparavant sensibilisé la classe à ce sujet délicat qu’est la peine de mort : quels sont les arguments pour et contre ? Qui a droit de vie ou de mort ? Qu’est-ce qu’une erreur judiciaire ? « Il est important que les jeunes comprennent les implications d’une condamnation à mort », précise Mme Martin. « C’est une décision irréversible, une torture psychologique et physique, une vengeance cachée de la justice, la mort inutile d’un être humain peut-être innocent. »

Certains collégiens découvrent que vivre dans un pays qui a renoncé à la peine de mort ne va pas de soi, que seuls 104 pays l’ont abolie, et que la condamnation à la peine capitale n’est pas une question d’appartenance nationale, comme l’illustre le cas du Français Serge Atlaoui, qui attend dans les couloirs de la mort indonésiens pour trafic de drogue. « N’importe qui peut être condamné à mort pour n’importe quel crime, selon la loi et le gouvernement du pays », observe Susan Kigula. « Il suffit que les preuves soient convaincantes, même si elles sont manipulées ou fausses. »

Comme l’abolition de la peine de mort n’est toujours pas acquise dans de nombreux pays, Susan Kigula invite les élèves à partager son histoire de par le monde. Elle leur explique n’avoir jamais voulu se venger des voisins qui témoignèrent contre elle : « Je n’ai jamais été une criminelle et n’ai pas l’intention de l’être. » Elle souhaite continuer à vivre dans son pays, « même si l’Ouganda m’a privée de seize ans de ma vie ». « Il faut corriger ce qui ne va pas pour que le pays avance et offre un meilleur avenir à ses citoyens », estime-t-elle.