Le procès pour « fraude fiscale et blanchiment en bande organisée » contre la famille de marchands de tableaux Wildenstein est arrivé à son terme, jeudi 20 octobre, après un mois d’audience devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Les avocats des huit prévenus ont simplement réclamé la relaxe pour leurs clients, quand la procureure Monica d’Onofrio a requis des peines allant jusqu’à la prison ferme.

Elle a ainsi réclamé quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et 250 millions d’euros d’amende contre Guy Wildenstein, considéré comme « le chef de famille ». Contre son neveu Alec « junior », six mois de prison avec sursis, eu égard à son jeune âge (27 ans) au moment des faits qui lui sont reprochés. Pour sa belle-mère, Liouba Stoupakova, dernière épouse d’Alec « senior », que l’on croit coupable d’avoir signé de faux documents au moment de la succession de son défunt mari, un an de prison avec sursis. Contre deux banques, la Northern Trust Fiduciary Services, à Guernesey, et la Royal Bank of Canada Trust Company, qui abritaient des trusts, a été requise l’amende maximale pour complicité de fraude fiscale, soit 187 500 euros.

Contre le notaire Robert Panhard, aujourd’hui retraité, qui a déposé les déclarations de succession litigieuses, la procureure a requis deux ans avec sursis et 37 500 euros d’amende. Pour l’avocat français Olivier Riffaud, ancien inspecteur des impôts, devenu conseiller fiscal des Wildenstein, deux ans de prison, dont un avec sursis, 500 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer toute profession juridique pendant trois ans. Pour l’avocat suisse Peter Altorfer, cheville ouvrière du système Wildenstein selon le ministère public, trois ans de prison, dont deux avec sursis, et 1 million d’euros d’amende.

« Absence totale de preuves »

C’est lui qui, après la plaidoirie de son avocat, a donné le ton de la défense dans un commentaire au juge Olivier Géron, qui avec une réelle autorité, mais non sans humour, a présidé les débats : « Requérir une peine absurde ne peut pallier une absence totale de preuves », a déclaré, dans un français un peu raide mais impeccable, l’avocat zurichois. C’est cette absence de preuves qu’ont martelé les avocats de Guy Wildenstein, Me Eric Dezeuze – lequel s’est révélé par ailleurs un fort bon connaisseur de l’histoire de l’art – et Me Hervé Temime.

A les entendre, rien dans le dossier ne permet d’incriminer leurs clients des faits qui leur sont reprochés. Or, ont-ils rappelé, ce sont les règles du procès pénal : « La charge de la preuve est imputable au parquet, et la certitude doit être absolue. » Me Temime en a profité pour dresser un portrait sévère des méthodes utilisées selon lui par les juges chargés de l’instruction : « Onze mises sur écoute, autant de perquisitions dont certaines chez des avocats », avait commencé Me Dezeuze, repris par son confrère : « Le secret professionnel des avocats a été piétiné ! » L’un d’eux, qui l’invoquait devant le juge d’instruction, s’est retrouvé ipso facto en garde à vue et ses locaux ont été perquisitionnés, s’indigne t-il.

« On hérite d’une fortune, pas d’un délit »

Des trusts, il a été beaucoup question aussi. Pour le ministère public, ce sont dans le cas des Wildenstein des montages fictifs destiné à frauder le fisc. Pour la défense, ils sont tout ce qu’il y a de plus légaux, dûment déclarés, et les services de Bercy n’ont, disent-ils, aucune doctrine précise les concernant. En outre, ils ont été fondés bien avant Guy Wildenstein, par son père, et son grand-père avant lui : « On hérite d’une fortune, pas d’un délit, et on n’est pas coupable d’un délit qui n’existe pas et qu’on n’a jamais voulu commettre », a t-il dit. Il a également remis en cause la somme requise à titre d’amende par le ministère public à l’encontre de son client, arguant de ce que les montants effectivement concernés ne dépassaient guère les 8 millions d’euros et qu’il ne pouvait au pire être redevable que de la moitié de cette somme.

Les avocats ont enfin souligné le caractère exceptionnel de ce procès. Pas pour les mêmes raisons que le ministère public, toutefois, selon lequel il s’agirait de « la fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la VRépublique ! », mais bien parce qu’il se déroule parallèlement à celui que les services de Bercy intentent au civil aux Wildenstein. Cela avait conduit leurs avocats à déposer au tribunal une demande de sursis à statuer, laquelle avait été rejetée. Les services fiscaux réclament à la famille de marchands de tableaux 556 millions d’euros,

« C’est une situation inédite, sans aucun précédent, dans un corpus juridique imprécis », a commenté Me Temime. « Vous êtes des juges fiscaux ! », a jeté son confrère face au tribunal pénal. « L’administration fiscale se sert de vous pour établir à son profit l’autorité de la chose jugée », a t-il ajouté. Et Me Temime de conclure comme il avait commencé, en réclamant la relaxe de tous les prévenus, qui selon lui « est acquise ». Ce sera au tribunal d’en décider : il rendra son jugement le 12 janvier 2017.