Le Conseil constitutionnel a censuré un article encadrant la surveillance des communications sans fil, notant que ces mesures ne sont soumises « à aucune condition de fond ni de procédure » et que leur mise en œuvre n’est encadrée par « aucune garantie ». | SPENCER PLATT / AFP

C’est un petit article de loi en vigueur depuis vingt-cinq ans que le Conseil constitutionnel a censuré dans une décision rendue vendredi 21 octobre. Cet article permettait tout bonnement aux services de renseignement de procéder sans le moindre contrôle à la surveillance de communications par voie hertzienne. Les gardiens de la Constitution le déclarent contraire à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en portant « une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances ». Ils le déclarent inconstitutionnel et demandent au législateur d’élaborer un nouveau texte d’ici le 31 décembre 2017.

Au nom de « la défense des intérêts nationaux », les pouvoirs publics pouvaient ainsi surveiller les déplacements de sous-marins étrangers ou les mouvements de troupes sur un théâtre d’opération, mais également des communications par téléphone mobile entre particuliers, des échanges par Wi-Fi ou Bluetooth. Rebaptisé article L. 811-5 dans la loi renseignement de juillet 2015, cet article permettait aux services de renseignement de s’affranchir des contrôles que cette loi imposait en précisant par exemple que la surveillance de particuliers ne peut être autorisée par le premier ministre qu’après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

« Un trou législatif béant »

C’est en invoquant cette disposition particulièrement floue que Bernard Squarcini, l’ancien patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), avait pris la liberté de procéder à des écoutes dans l’affaire des fadettes du Monde. Lors du débat sur la loi renseignement de 2015, quelques mois après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, personne ne semblait s’être intéressé à cet article introduit par la loi de 1991 sur le secret des correspondances. Cette dernière avait elle-même été votée après le scandale des écoutes de l’Elysée où François Mitterrand avait fait écouter des personnalités, dont le journaliste du Monde Edwy Plenel.

Le Conseil constitutionnel s’était prononcé en juillet 2015 sur la loi renseignement, en censurant d’ailleurs deux dispositions, mais n’avait validé que les articles qui lui avaient été soulignés dans les saisines du président de la République et du président du Sénat. Il ne s’était jamais saisi de ce sujet avant la question prioritaire de constitutionnalité déposée au printemps par des associations (La Quadrature du Net, French Data Network, la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs et Igwan.net). Selon leur avocat, Patrice Spinosi, il a créé « un trou législatif béant » et ouvert « la voie à un espionnage de masse », a-t-il expliqué à l’audience, le 11 octobre.

L’article, très court, dit : « Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale. » Dans sa décision, le Conseil constitutionnel note que la disposition contestée permettait de fait de s’affranchir du code de procédure pénale qui encadre les écoutes ordonnées par un juge d’instruction.

Deux réserves transitoires

Balayant les observations du gouvernement et reprenant les arguments des associations, l’institution présidée par Laurent Fabius souligne que la rédaction du texte incriminé n’interdit pas des mesures de surveillance « utilisées à des fins plus larges que la seule mise en œuvre de » la défense des intérêts nationaux. Surtout, écrit-elle, le recours à ces mesures n’est soumis « à aucune condition de fond ni de procédure » et leur mise en œuvre n’est encadrée par « aucune garantie ». Aucune limite sur l’exploitation des données personnelles ni leur conservation n’était prévue…

Pour ne pas empêcher les services de renseignement de continuer à opérer des écoutes qui relèveraient réellement de la défense nationale, le Conseil n’abroge pas la loi mais encadre sérieusement son application. En attendant qu’un nouveau texte de loi soit voté, il impose deux « réserves transitoires ». Les mesures de surveillance ne pourront pas s’appliquer aux écoutes soumises à autorisation par la loi renseignement, et la CNCTR devra être « régulièrement informée » des opérations mises en œuvre. La nouvelle législature qui sortira des urnes en juin aura quelques mois pour faire le tri entre ce qui relève des surveillances susceptibles de porter atteinte à la vie privée et les autres.