Lors d’une manifestation à Bruxelles, le 20 septembre, contre les traités de libre-échange TTIP et CETA. | JOHN THYS / AFP

Editorial. Les Canadiens ont sonné la fin de la partie et ils ont eu raison. Après avoir multiplié les concessions, exempté de visas les Bulgares et les Roumains, alors que ce n’était pas l’objet de la négociation, ils sont rentrés à Ottawa faute d’accord pour signer avec l’Europe un traité de libre-échange. « L’Union européenne (UE) n’est pas capable de conclure un accord international, même avec un pays qui a autant de valeurs européennes que le Canada », a déploré la négociatrice canadienne, Chrystia Freeland.

Le Canada explicite une réalité consternante : l’Europe est fermée pour travaux. Fermée comme le fut l’Etat fédéral américain sous Barack Obama, bloquée par l’intransigeance des républicains. L’historien Francis Fukuyama avait alors dénoncé une Amérique victime de la « vetocratie », victime d’intérêts minoritaires. C’est le sort dans lequel se complaît l’UE.

Vetocratie

Le blocage est venu du ministre-président de Wallonie, le socialiste Paul Magnette, dont le parti est pourtant des plus europhiles. L’UE n’est même plus une « fédération d’Etats-nations », expression inventée par Jacques Delors pour signifier que Bruxelles ne pouvait pas faire abstraction des Etats. Elle est un patchwork de 28 principautés, sous-découpées en régions, dont on découvre les pouvoirs improbables : en organisant le démantèlement de leur Etat central, les Belges ont confié la compétence commerciale aux régions et à M. Magnette un pouvoir exorbitant.

L’Union n’avait pas besoin de cet épisode humiliant. Cette vetocratie conduit au délitement de la parole des Européens. On pourrait chercher à la contourner, en négociant des accords purement commerciaux, relevant de la seule Commission. C’est techniquement ce qu’il aurait fallu faire, mais les dirigeants européens, à commencer par François Hollande et Angela Merkel, n’en ont pas voulu, soucieux de pouvoir bloquer à chaque instant la Commission.

On assiste ainsi à une farandole de veto : veto au traité d’association avec l’Ukraine, bloqué au Parlement néerlandais après un référendum d’initiative populaire négatif. Refus de l’accord de répartition des migrants, voté à la majorité à Bruxelles, mais que les pays de l’Est n’appliquent pas et que la Hongrie de Viktor Orban a contesté par référendum. Ajoutons-y le Brexit, dont la seule certitude est qu’il plonge l’UE dans un brouillard paralysant. Nul ne voudra s’engager avec les Européens tant qu’ils n’auront pas réglé cette affaire.

Splendide isolement

Les fatalistes verront dans ces blocages la conséquence inexorable du populisme ambiant et de la contestation de la mondialisation. C’est un peu court. D’abord, l’accord avec le Canada est un traité raisonnable. Il a été amendé avec succès par le Parlement européen, tandis que l’avènement de Justin Trudeau à Ottawa a permis d’obtenir des concessions.

Mais, surtout, il ne faut pas tomber dans le piège d’un prétendu mouvement mondial protectionniste. C’est inexact. En dépit du ralentissement du commerce mondial, les économies sont de plus en plus imbriquées.

Quant à la « trumpisation » du discours, elle révèle un malaise de l’Amérique face à la mondialisation, mais elle ne l’a pas encore stoppée. La preuve, Washington a signé un traité de libre-échange avec les économies du Pacifique dont la ratification n’est pas impossible.

Le splendide isolement de l’Europe est un contresens, pour un continent exportateur net vers le reste du monde. Il va la conduire à sa marginalisation. Elle ne peut pas en rester là.