« J’ai toujours dit que la Wallonie n’était pas hostile à la conclusion d’un traité avec le Canada. Et nous voulions que le CETA soit le standard pour une série d’autres accords », assure Paul Magnette, le ministre-président de la Wallonie. | THIERRY CHARLIER / AFP

Après la rupture des négociations entre la Wallonie et le Canada, vendredi 21 octobre, et le départ précipité, pour Ottawa, de la ministre du commerce international, Chrystia Freeland, le ministre-président wallon Paul Magnette (PS) a répondu aux questions du Monde sur l’échec du projet de traité entre l’Union européenne et le Canada (CETA)

Pourquoi cette rupture soudaine des conversations entre votre Région et la ministre canadienne ?

C’est elle qui m’avait proposé une rencontre, que j’avais bien entendu acceptée, même si la démarche était inhabituelle, puisque les autorités canadiennes négociaient en général avec la Commission. Nous avons passé en revue, dans la matinée, les dossiers où des progrès avaient été accomplis et ceux sur lesquels il fallait continuer à travailler. J’ai ensuite rendu compte au Parlement, comme j’y étais obligé, avant de reprendre notre conversation. J’ai évoqué alors la question du calendrier : le Canada considérait que nous n’avions plus de temps ; moi, je ne pouvais suspendre le processus parlementaire que nous avons commencé il y a un an. Cela ne pouvait pas se faire en 3 jours, mais ne nécessitait pas 3 mois. Nous avons donc buté sur cette question de temps. Je le regrette. Mais, en tout cas, notre conversation a toujours été courtoise.

Pourquoi, alors, les pleurs de la ministre à la sortie de votre cabinet ?

On oublie que les politiques sont aussi des êtres humains. Lorsque l’on travaille beaucoup, sous une forte tension, les émotions peuvent resurgir.

Certains affirment qu’en fait c’est vous qui aviez proposé cette négociation directe pour contourner la Commission européenne…

Je suis clair : c’était une demande de Mme Freeland et la conversation s’est faite en présence du négociateur en chef de la Commission, mandaté par M. Juncker.

Vous comprenez que le Canada se soit montré impatient ?

Bien sûr, cela fait des mois que ses représentants faisaient le tour des capitales mais personne n’a paru comprendre que des parlements régionaux belges disposaient des mêmes pouvoirs qu’un parlement national.

On a le sentiment que le dernier grand problème en suspens était le mécanisme d’arbitrage entre les États et les multinationales. L’accord était impossible ?

Non. Je crois que, sur le fond, nos attentes étaient semblables. D’ailleurs, et paradoxalement peut-être, il est souvent plus facile de parler avec le Canada que de se mettre d’accord au sein de l’UE…

Mme Freeland et la Commission laissent la porte entrouverte pour une éventuelle reprise des discussions. Vous aussi ?

J’ai toujours dit que la Wallonie n’était pas hostile à la conclusion d’un traité avec le Canada. Et nous voulions que le CETA soit le standard pour une série d’autres accords. L’enjeu était donc important. Que le Canada choisisse l’Europe alors que les États-Unis sont son premier partenaire commercial mérite évidemment toute notre attention. Je ne suis ni un protectionniste, ni un adversaire de la mondialisation mais il faut tirer les leçons de ce qui vient de se produire.

Lesquelles ?

Les institutions européennes avaient fait le choix d’une application provisoire, ce qui complique tout. Sans cela, on signe un traité et il suit le parcours normal de la ratification. Deuxième point : on a oublié la réalité institutionnelle belge, ce qui nous a laissés peu de temps alors même que le parlement wallon voulait, contrairement à d’autres sans doute, procéder à un examen minutieux et à un vrai débat démocratique.

Combien de temps faudra-t-il pour relancer une négociation éventuelle ?

Il est impossible de faire un pronostic. La Commission devra évaluer, avec le Canada. Examinons les raisons de cet échec et tirons-en les leçons. De nombreux traités ont posé des problèmes, faute d’un examen préalable attentif. La société civile est donc devenue plus vigilante, et les parlements se sont saisis de ces dossiers, ce qui me semble excellent.

Si l’on ne peut plus faire de traités de type CETA au niveau européen parce que nous sommes 28, alors refaisons des traités purement commerciaux, et non plus mixtes, avec des volets sur l’investissement. Et, dans ce cas, le contrôle démocratique s’opérera au niveau du parlement européen.

La crise de confiance en l’Europe est profonde. Le débat démocratique n’est pas le problème, mais la solution. Nous avons besoin de plus de contrôle parlementaire, pas moins.

Qu'est-ce que le CETA ?
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