Dans les tentes avant de monter dans les bus pour les Centre d’accueil et d’orientation, le 24 octobre. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR "LE MONDE"

Ils sont passés par toutes les étapes – file d’attente pour « adultes », choix de la région, bracelet en plastique rouge pour la Bretagne glissé au poignet… – avant d’embarquer, lundi 24 octobre, enfin, dans l’un des bus affrétés par l’Etat dans le cadre du démantèlement de la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais) et de se rendre dans l’un des 450 centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis sur le territoire français.

Quarante-neuf hommes seuls – majoritairement des Soudanais, avec deux Erythréens et un Afghan –, qui ont choisi Cancale, petite cité d’Ille-et-Vilaine de 5 200 habitants, pour y passer au moins trois mois afin de faire les formalités pour une demande d’asile en France.

A la question « où allez-vous ? », la plupart répondent la « Bretagne », un rapide sourire aux lèvres, pressés de déposer leurs maigres bagages dans les soutes avant de prendre place dans le véhicule, guidés par deux pompiers qui se sont portés volontaires pour les accompagner jusqu’à leur destination.

« C’est une première pour tout le monde ! », lance l’un d’eux, Julien, tandis que le bus a démarré et dépasse déjà le camp de la Lande sur sa gauche. Derniers regards jetés vers ce lieu qu’ils ont souhaité quitter aujourd’hui, « pour une nouvelle vie peut-être », glisse Abdul (le prénom a été changé), 30 ans, sans oser y croire.

Ces premiers kilomètres au départ de Calais, lundi après-midi, sont enveloppés dans la brume, qui surligne un peu plus le flou dans lequel ces hommes se trouvent, ne sachant pas réellement où ils se dirigent.

Des migrants se pressent pour se faire enregistrer et monter dans un bus, le 24 octobre. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR "LE MONDE"

Un seul arrêt, sous la surveillance de la gendarmerie

Abdul vient du Soudan qu’il a fui – pour des raisons qu’il préfère passer sous silence car il y a encore de la famille –, franchissant d’abord la frontière avec l’Egypte. « Puis j’ai pris un bateau au départ d’Alexandrie sur lequel nous étions 370, pendant treize jours » avant d’atteindre la côte calabraise, en Italie. « Là, les policiers nous violentaient, explique-t-il, nous ne pouvions pas rester. »

Il dit, comme une partie de ceux interrogés dans ce bus, n’avoir jamais souhaité passer au Royaume-Uni. « Mais Calais est connu des réfugiés pour être l’endroit où on a une tente pour dormir », à la différence de Paris où il aurait « été dans la rue », estime-t-il, trop heureux cependant de quitter la « jungle » où il a passé trois mois et ne se sentait pas en sécurité.

S’il s’inquiète de savoir si la commune qui va l’accueillir n’y est pas opposée, il dit que « de toute façon, je n’avais pas le choix. Alors je garde espoir. » Il a commencé les formalités pour sa demande d’asile et souhaite les terminer à Cancale.

Une heure après le départ, le bus s’est endormi, excepté quelques vigilants qui observent obstinément la campagne vallonnée qui défile aux fenêtres. Tous sont emmitouflés chaudement dans leur veste, leur anorak, bonnet de laine fiché sur la tête, les habitudes du camp de la Lande si durement acquises.

Un seul arrêt est prévu sur une aire d’autoroute, sous la surveillance de la gendarmerie, et lors duquel sont distribués quelques sandwiches, une pomme et une bouteille d’eau. « Ils sont au complet », lance Margaret, l’autre pompier, au moment de repartir, s’assurant que tous les migrants sont remontés dans le bus.

Demain ? « Dormir, se reposer »

Mafhuz, un jeune Erythréen de 22 ans, a fui son pays en 2011 lorsqu’on l’a obligé à s’enrôler dans l’armée. Puis c’est le parcours classique : le Soudan, la Libye, l’Italie, pour finir en Suisse où sa demande d’asile a été rejetée. Il est avec un ami, « c’est mieux ».

A une question sur l’avenir, il répond dans un français très correct appris en Suisse qu’il faut juste « attendre ce qui arrive » et « faire preuve de patience ». Il a passé une semaine seulement dans la « jungle », « horrible » dit-il.

Le Mont-Sant-Michel éclairé au loin dans la nuit attire les regards, avant l’arrêt final. Là, un comité d’accueil leur souhaite la bienvenue : le préfet d’Ille-et-Vilaine et de Bretagne, Christophe Mirmand, le maire de Cancale, Pierre-Yves Mahieu, et toute l’équipe de l’association Coallia, le gestionnaire du centre. « C’est comme un rêve qui devient réalité pour nous », dit Abdul. Ce qu’ils vont faire demain ? « Dormir, se reposer. »

« Welcome à Cancale. » Calais semble si loin.