Qui forme les étudiants en Afrique ? Depuis quarante ans, l’éducation supérieure progresse quasiment deux fois plus vite en Afrique subsaharienne que dans le reste du monde. Le nombre d’étudiants évolue de façon spectaculaire, du simple au double entre 2000 et 2010 (*). Mais le nombre de places disponibles en université ne suit pas. L’enseignement supérieur manque à la fois d’enseignants et d’infrastructures : on y observe en moyenne 50 % d’étudiants supplémentaires par enseignant, comparé au reste du monde.

Au-delà de la question du nombre, les programmes proposés sont souvent déconnectés des besoins du marché du travail. D’un côté, les employeurs peinent à trouver les profils qui leur conviennent : la quête de compétences apparaît en tête des préoccupations des employeurs africains pour les 12-18 mois à venir. De l’autre, les diplômés de l’enseignement supérieur mettent cinq ans en moyenne à trouver un emploi. Selon le Bureau international du travail, les diplômés africains sont deux à trois fois plus exposés au chômage que les jeunes n’ayant pas poursuivi leur scolarité au-delà du primaire.

65 % des enfants entrant à l’école primaire aujourd’hui occuperont un métier qui n’existe pas encore.

La nécessité de repenser l’université n’est d’ailleurs pas spécifique à l’Afrique. Il est estimé que 65 % des enfants entrant à l’école primaire aujourd’hui occuperont un métier qui n’existe pas encore. A travers le monde, il s’agit d’enseigner aux jeunes à apprendre en permanence. En Afrique, la jeunesse a une longueur d’avance sur l’enseignement traditionnel. L’étude Voice Africa’s Future 2015 fait le constat d’un mouvement de fond chez les jeunes, confiants dans le rôle qu’ils ont à jouer dans la croissance économique du continent, cherchant à s’autoformer et à monter leur entreprise.

L’enseignement supérieur traditionnel en Afrique ne répondant ni aux besoins des employeurs ni à ceux des étudiants, un écosystème dynamique cherche à en compenser les failles. Les MOOC made in Africa sont sous le feu des projecteurs depuis quelques années, comme ceux de l’Ecole polytechnique de Lausanne. Au-delà de ces substituts ou compléments universitaires en ligne, des initiatives originales aident les jeunes à construire leur développement académique et professionnel à la carte.

Petit tour d’horizon :

  • Des programmes pour franchir le « dernier kilomètre » entre l’enseignement et l’emploi se développent dans différents secteurs, à tous les niveaux de qualification. Dans le domaine de la programmation informatique, Andela ne s’attache pas aux diplômes mais aux compétences. Il recrute le top des 1 % de codeurs ayant réussi un test en ligne, les immerge dans un programme intensif de six mois, puis les place via sa plate-forme d’outsourcing de renommée mondiale. Les étudiants sont payés pendant leur formation pour pouvoir se consacrer entièrement à leurs études.
  • Dans le secteur du tourisme, Wave Academy place 75 % de ses étudiants auprès d’entreprises partenaires à l’issue de trois semaines seulement de formation. Cette formation est axée sur les compétences dites « soft » telles que le travail en équipe et la relation client.
  • Les jeunes savent aussi que la plus grande part de leurs opportunités professionnelles sera entrepreneuriale. Incubateurs et fab labs se multiplient sous des formes originales. Apparaissant comme un complément à l’enseignement traditionnel, ils mettent l’accent sur ce « dernier kilomètre » à franchir en termes de compétences entrepreneuriales. Jokkolabs teste différents modèles à travers l’Afrique de l’Ouest. Ses activités s’articulent entre échanges virtuels en ligne et espaces physiques de travail en commun. Sa philosophie est empruntée à Léopold Sédar Senghor : « Au carrefour du donner et du recevoir où chacun se sentira à l’aise parce que se sachant à la fois donneur et receveur ».
  • L’enseignement peer-to-peer se développe, dans la continuité d’une tradition d’enseignement informel et de partage des connaissances. Tuteria systématise cette approche via une plate-forme en ligne, permettant aux personnes désireuses d’acquérir une compétence de se connecter à n’importe quelle autre personne possédant cette compétence et se trouvant à proximité. Les écoles investissent aussi dans ces nouvelles formes de pédagogie autonome. WeThinkCode place l’étudiant au centre : celui-ci apprend via la résolution de problèmes en groupe et l’expérience, non plus par un enseignant. Les entreprises complètent le dispositif en proposant des stages – près de 100 entreprises y participent depuis le lancement de l’école en 2015.
  • Les plates-formes de recrutement en ligne s’enrichissent de modules pédagogiques pertinents à la fois pour une recherche d’emploi et un projet entrepreneurial. Fuzu (devenir compétent en swahili) est né du constat que 90 % des demandeurs d’emplois ne sont pas employables tels quels. Le site propose une série de cours gratuits, initiant à des métiers aussi divers que celui d’auditeur ou de consultant RH, permettant aux jeunes de mieux cibler leurs choix professionnels ou besoins en formations complémentaires. En mars 2016, six mois après son lancement, Fuzu comptait déjà 250 employeurs et 115 000 utilisateurs. CareerPlanet, de son côté, adosse ses offres d’emploi à une palette d’outils : certifications techniques, développement personnel ou orientation de carrière. Le site complète ces formations en ligne par un accompagnement via les réseaux sociaux, ou en physique (ateliers organisés dans des universités).

S’inspirer des jeunes pour bâtir l’université du futur

Vers une offre alternative de l’enseignement supérieur en Afrique ? Ces initiatives incarnent certainement les compétences nécessaires aux métiers de demain : agilité, collaboration, créativité, esprit d’entreprise. Les jeunes apprennent les compétences académiques dans des universités (réelles ou en ligne), et apprennent les compétences de demain dans ces systèmes parallèles – le plus souvent à leur propre initiative. Ces systèmes sont néanmoins loin de compenser les failles du système traditionnel. Sauf cas spécifiques, les compétences acquises ne donnent pas lieu à un diplôme et sont difficilement valorisables. De plus, les moyens pour passer à l’échelle sont limités.

L’enseignement supérieur s’est certes laissé dépasser par ses étudiants, mais ces étudiants montrent la voie à suivre. En poursuivant les efforts pour développer l’enseignement traditionnel, et en y intégrant des pratiques que les jeunes se sont déjà appropriées, l’opportunité est de construire cette « université du futur » dont la nécessité s’impose partout dans le monde. Fort est à parier que celle-ci sera l’œuvre des jeunes, une jeunesse mondialisée, mais qui inventera ses propres systèmes.

Madjiguène Sock est directrice de Dalberg pour l’Afrique francophone et Yana Kakar directrice générale de Dalberg.

(*) A noter qu’au cours de la même période, la population en âge de suivre des études supérieures a connu une croissance annuelle moyenne de 3 %. Ainsi, le taux de scolarisation en université reste faible : 6 % en Afrique sub-saharienne, contre 26 % en moyenne dans le monde (Unesco, Recueil de données mondiales sur l’éducation, 2009 ; Africa America Institute, State of Education in Africa, 2015).

L’enseignement supérieur en Afrique : les chiffres
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